Interview de Pierre Boisserie, à propos de Nostromo

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Nostromo, parue aux éditions Soleil, en lisant l'interview de son scénariste, Pierre Boisserie.
Comment êtes-vous devenu scénariste ?
Ouch, c'est une longue histoire ! Grand lecteur de livres, de BD et de comics, j'ai été kiné pendant 20 ans, et à l'occasion d'un festival BD, j'ai rencontré Eric Stalner avec qui l'aventure de La Croix de Cazenac a commencé en 1999 chez Dargaud, avec succès. La machine était lancée !
Vous expliquez dans votre postface avoir découvert Nostromo via le film Alien de Ridley Scott, et que l'envie d'adapter Nostromo vous trottait dans la tête depuis un moment. Quel fut le déclencheur de cette envie et de cette concrétisation quand vous avez commencé à travailler sur ce projet.
Comme vous l'évoquez dans la question suivante, Nostromo est un roman très exigeant pour le lecteur. La première lecture a été ardue, j'étais encore jeune, mais j'ai tout de suite senti qu'il fallait que j'y revienne, certains personnages m'ayant laissé une empreinte tenace (Martin Decoud). Les lectures suivantes et répétées m'ont happé dans la richesse totale du roman. J'ai eu très vite l'envie de partager mon amour pour ce roman, en proposant une première approche, peut-être plus abordable, pour rencontrer ce formidable récit. La concrétisation s'appelle Cyrille Ternon. Il fallait au moins un dessinateur de son talent pour rendre hommage à Conrad.
Nostromo est certes le chef-d'œuvre de Joseph Conrad, qui réussit en quelques 500 pages à montrer ses talents de psychologue, d'historien, d'explorateur, de conteur ou encore de poète, mais Nostromo est également l'un des romans les plus difficiles à appréhender du fait du nombre considérable de personnages, à qui vous dédiez d'ailleurs une page de présentation des principaux personnages en fin d'album, et par le coté non chronologique du récit. Comment avez-vous abordé cette adaptation au vu de ces difficultés majeures ?
Oui, alors, j'ai fait du tri. J'ai mis de côté un certain nombre de personnages et j'ai rétabli, en partie, une chronologie linéaire. En essayant malgré tout de rendre compte de tous les talents de Conrad !
Votre adaptation fait environ 150 planches, quels choix avez-vous dû faire pour réduire autant le contenu et l'adapter aux codes de la BD ?
Le choix a été thématique. Parmi les nombreux thèmes abordés par Conrad, habilement répartis sur les personnages, je n'ai gardé que ceux qui m'intéressaient, à savoir la colonisation capitaliste et l'échec de tout système politique. C'est pour cela que j'ai écarté les personnages tournant autour de la religion, entre autres.
En fin d'album, le lecteur pourra lire « librement adapté ». Cette liberté tient-elle plus dans la structure et dans la manière de rendre plus aisée la lecture, ou avez-vous fait comme Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte qui ont tellement pris de liberté avec le livre d'Alexandre Dumas – Le Comte de Monte-Cristo – qu'ils ont réécrit la fin à leur manière, totalement à contresens de la version originelle ?
Oui, et c'était encore pire pour Les Trois Mousquetaires. Dans le cas de Nostromo, librement s'oppose à strictement. Comme je l'ai évoqué, je n'ai pas respecté la chronologie déstructurée du roman et j'ai supprimé de très larges passages pour faciliter la lecture. Par contre, de mon point de vue, si on décide d'adapter une œuvre, c'est pour la respecter. Si c'est pour trahir, autant écrire autre chose, non ?
Comment avez-vous rencontré Cyrille Ternon, le dessinateur, et comment avez-vous travaillé avec lui ?
Nous avons commencé à travailler ensemble sur Le banquier du Reich pour Glénat qui nous a réunis. Et quand on a la chance de travailler avec un dessinateur aussi talentueux et aussi facile à vivre, on le garde !
Une adaptation laisse-t-elle autant de marge créative pour le dessinateur qu'une pure création scénaristique ?
Oui. Surtout que je ne suis pas un scénariste très directif. Je me concentre surtout sur les personnages. Je donne des idées de mise en scène, mais ce ne sont que des suggestions et Cyrille est très libre de donner sa vision graphique du roman.
Dans la postface, Cyrill Ternon écrit que la réalisation du dessin a duré trois ans. L'adaptation et le scénario ont demandé combien de temps ?
C'est toujours difficile à dire, tellement l'écriture se fait au long cours. Il y a d'abord un travail de dépiautage du roman, ce qui, dans ce cas particulier, a été assez long. Puis il faut faire du tri dans les scènes et dans les dialogues pour en garder le sens, la musicalité, la personnalité des acteurs, tout en opérant des coupes sombres ! Et, comme la plupart des scénaristes, je travaille sur plusieurs projets en même temps. Mais je dirais que ça m'a bien occupé la tête pendant deux ans.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
David Lean, Spielberg et Ridley Scott s'y sont cassé les dents, alors, comme dit Cyrille, on leur a mis une carotte ! Modestement, bien sûr…
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Nous venons de terminer L'Épopée de la Franc-Maçonnerie chez Glénat. Le T12 est sorti mi-mars. Ce fut une belle aventure ! Je complète ce cycle maçonnique avec un album sur Joséphine Baker et ses engagements humanitaires et sociétaux, avec Annabel au dessin. Mi-avril sort (enfin) le T2 de La Trilogie Berlinoise. Le T3 est en chantier. Pour la suite, je travaille sur une Histoire de Paris et une Incroyable Histoire de la Mort pour les Arènes. Et avec Cyrille et Philippe Guillaume, nous travaillons sur un nouveau projet chez Glénat dans la droite ligne du Banquier du Reich qui apparaîtra d'ailleurs comme personnage secondaire. Enfin, dans les tuyaux depuis quelques années, une adaptation du Henri IV de Shakespeare, chez Delcourt, centrée sur le personnage de Falstaff et ses rapports avec le prince Hal.
Le 29 mars 2025