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Interview de Rémy Benjamin, à propos d'Oncle Vania

Couverture de la BD Oncle Vania

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Oncle Vania, parue aux éditions La Boîte à Bulles, en lisant l'interview de son auteur, Rémy Benjamin.

Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?

Par l'envie de raconter des histoires. J'ai toujours aimé ça. D'abord en jouant, comme tous les enfants, puis en écrivant un peu ou en racontant des histoires aux copains. Comme je lisais beaucoup de bandes dessinées, avant même de savoir lire les mots, mon envie de raconter s'est cristallisée autour de cette narration-là. Je suis revenu au dessin, que j'avais délaissé un peu pendant l'enfance, par la bande dessinée. Adolescent, j'ai suivi les cours de Philippe Foerster, et l'envie de faire la bande dessinée ne m'a plus lâché. C'est comme ça que je suis rentré à l'Académie des Beaux-Arts de Tournai, dans l'atelier d'Antonio Cossu.

Oncle Vania connait un certain succès en France depuis 2014, alors qu'avant, la pièce n'a quasiment jamais été jouée. Pourquoi cet engouement pour cette pièce ? Résonne-t-elle particulièrement avec notre époque ?

Je savais que la pièce était beaucoup jouée, mais je ne savais pas qu'il y avait un engouement plus particulier ces dernières années. Mais ça ne me surprend pas. Je ne peux pas parler pour les autres, mais je pense pouvoir expliquer qu'une certaine modernité dans le texte, et plus particulièrement autour des préoccupations écologiques du personnage d'Astrov, doit y être pour quelque chose.

Qu'est-ce qui vous a motivé à mettre en scène en BD Oncle Vania ?

Ça s'est imposé à moi, mais je dirais qu'il y a deux grandes raisons. Je lis régulièrement du théâtre écrit, pour le plaisir, sans aucune idée d'adaptation, mais quand j'ai lu Oncle Vania, des passages du texte ont résonné. Il s'est accroché à moi et j'ai senti l'envie d'en faire quelque chose. Parce que le texte a la force de venir nous chercher, à travers le temps. Entendre ces personnages d'une autre époque se poser les questions que nous devrions nous poser aujourd'hui est bouleversant. Quand Astrov se demande : « Ceux qui vivront dans 100 ou 200 ans, penseront-ils du bien de nous ? », il nous place à la fois en juge et en coupable. Car c'est un texte qui parle de l'espace et du temps. De comment nous habitons notre monde, et surtout comment nous le détruisons, et que faisons-nous du temps qui nous est donné pour y vivre ? A travers les intrigues qui lient les personnages (amour, amitié, famille), Tchekhov nous montre que les humains se comportent entre eux comme ils se comportent avec leur environnement. L'ironie est qu'ils sont à la fois lucides sur leurs actions et incapable d'agir et de se transcender. La deuxième raison qui m'a poussé à travailler sur Oncle Vania est plus à lier avec ma pratique de la bande dessinée. J'ai lu le texte à un moment où je me questionnais beaucoup sur mes projets et notamment la dualité entre ma pratique de scénariste et de dessinateur. Jusque-là, comme auteur complet, je n'ai fait que des récits courts dans des revues ou fanzines et cela faisait longtemps que je voulais travailler sur un récit long, sans succès (je pourrai y revenir plus tard). La pièce est donc tombée à un bon moment dans mon parcours. Elle est venue combler un besoin.

Oncle Vania est un drame comique en quatre actes, vous avez fait le choix de ne pas conserver la structure en actes, pourquoi ?

Ce n'est pas un choix que je me suis imposé au départ. En fait, j'ai gardé la structure en quatre actes, mais je l'ai assouplie, au fur et à mesure du travail de mise en scène, car elle ne correspondait plus au rythme du livre. Tout au long de l'album, il y a une réflexion sur le temps qui passe que je voulais matérialiser dans le découpage. J'ai choisi de scinder le récit en très courts chapitres, séparés par des petites cases avec un motif récurrent (fleur, étoile, horloge). C'est une narration que j'ai déjà explorée dans mes précédents récits et qui correspond à un rythme de la bande dessinée que j'aime particulièrement, à mi-chemin entre les scènes au théâtre et les chapitres en littérature. Ce qui est drôle c'est que ce découpage peut faire croire que j'ai gardé la division en scène d'Oncle Vania, alors qu'il n'y en a pas dans le texte original.

Comment avez-vous procédé pour adapter la pièce, qui fait trois heures, au format BD ?

Je l'ai pris comme un scénario. C'est pour ça que je parle de mise en scène graphique plus que d'adaptation. J'ai travaillé sur trois niveaux. D'abord sur l'adaptation générale, le ton du récit. J'ai exploré différentes pistes, mais plus j'essayais d'adapter, en changeant par exemple l'époque du récit, plus je perdais ce que j'aimais dans le texte. Ensuite, il y a un travail sur la structure, car il était impossible de tout mettre dans le livre. J'ai identifié les scènes qui pouvaient être supprimées, les intrigues secondaires, les personnages qui pouvaient être réduits. Ça n'a pas été simple car la pièce est tellement bien construite que bouger une brique risque de faire tomber toute la structure, mais ça a été très instructif. Enfin, il y a le travail micro, sur les dialogues, les gestes, les déplacements. Ces trois étapes se sont faites en partant toujours du texte, en le relisant, en l'annotant. À chaque fois que j'avais un doute, une interrogation, je revenais au texte et j'y trouvais les solutions, qu'il fallait simplement identifier. Il y a beaucoup de changements par rapport au texte, mais c'est très discret, dans la nuance.

« Nous nous reposerons » clôt la pièce et la BD. Avez-vous repris au maximum les dialogues ?

Oui, c'était vraiment une de mes volontés, je ne voulais pas re-dialoguer la pièce. J'ai utilisé la traduction de Françoise Morvan et d'André Markowicz que je trouve fantastique. J'ai donc travaillé par coupe, pour trouver le souffle de l'album, adapter le texte au rythme de la lecture et non celui du parler.

Avez-vous respecté les étapes traditionnelles de la réalisation d'une BD, à savoir synopsis, scénario, storyboard, crayonné, encrage, ou avez-vous shunté certaines étapes ?

Comme je l'ai dit avant, je suis aussi scénariste. Je n'ai aucun souci à écrire des scénarios finis et complets pour d'autres, que ce soit adulte ou jeunesse, série ou one shot. Mais lorsque j'écris des histoires pour moi, je n'arrive pas à scinder les étapes et écrire tout le scénario avant de passer au dessin. J'interviens dans l'écriture du scénario à toutes les étapes et je trouve que réaliser seul une bande dessinée demande une énergie folle. Ce qui m'intéressait ici, c'était de me mettre au service d'un scénario déjà écrit et de devoir tout résoudre par la mise en scène, pas par la réécriture. M'imposer une discipline et ne pas contourner les problèmes. Je pense avoir appris beaucoup de ce point de vue là et je vais certainement en retenir des choses pour mes futurs projets. Et donc, pour répondre à la question, j'ai réalisé, pour la première fois, un album de manière assez classique : découpage (en tout petit dans des carnets), crayonné, encrage et couleur.

Comment avez-vous travaillé le dessin et la couleur ?

Les premières planches ont été réalisées sur papier, à l'encre de Chine et au brou de noix, sur lesquelles j'ajoutais des couleurs par ordinateur. Je suis ensuite passé au tout numérique (dessin et couleur), pour des raisons de temps et surtout pour une meilleure maîtrise du rendu des couleurs et des corrections. J'ai cherché une méthode qui me permettait de retrouver le rendu que j'avais trouvé sur papier ,et après pas mal de tests, j'y suis arrivé.

Comment avez-vous décidé du charadesign des personnages ?

Assez simplement. Je suis allé puiser dans mes carnets dans lesquels je dessine régulièrement toutes sortes de « tronches » et j'y ai fait une sorte de casting. Pour certains personnages, comme Vania, ou Astrov, les choses sont venues assez rapidement, pour d'autres, il a fallu chercher un peu plus. Il y avait aussi le challenge de la restitution de l'époque, notamment au travers des costumes. Je voulais quelque chose d'assez minimaliste, mais qui plonge bien dans la période du récit. Je suis allé chercher du côté de la peinture de l'époque pour trouver les bons vêtements.

Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?

Difficile à dire. Entre la lecture du texte et la sortie de l'album, il y a dû avoir entre six ou sept ans. Entre la signature avec l'éditeur et la sortie du livre, il y a eu cinq ans. Mais je n'ai pas pu travailler tout de suite à temps plein sur l'album. D'autres projets de scénarios m'ont occupé entre. A partir du moment où j'y ai travaillé pleinement, les choses sont allées plus rapidement. Je pense que si je compte le temps effectif de travail (découpage, dessin et couleur), je dois être entre deux et trois ans de travail.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Une des séries d'images qui me sont venues en premier en lisant la pièce concerne les cartogrammes qu'Asrov montre à Elena. J'avais hâte de dessiner cette scène et je voyais très clairement le rendu que je voulais donner aux cartes. Mais au moment de l'aborder, je me suis dit qu'il serait peut-être bien de me documenter, comme je l'ai fait pour d'autres scènes, et de trouver des cartogrammes d'époque, pour être vraisemblable. J'ai passé plusieurs journées à faire ces recherches pas évidentes, pour me rendre compte que finalement, il existait une panoplie variée de représentations graphiques dont de nombreuses assez proches de ce que j'avais en tête… Et finalement, j'ai dessiné la scène telle que je l'imaginais au début, de manière très simple et fluide.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Avec le dessinateur Brice Follet, nous sommes en train de finaliser le tome deux de Sven et Tanka, une série jeunesse aux éditions Dupuis, et je commence à écrire le scénario du trois. J'ai également un autre projet jeunesse avec Geoffrey Delinte, que nous sommes en train de clôturer. En ce qui concerne mon travail « d'auteur complet », j'ai plusieurs pistes. Je vais pouvoir finir ou relancer des projets que j'avais dû mettre en pause pour Oncle Vania. Notamment un projet de strips humoristiques et d'histoires courtes avec mes personnages Albert et Professeur. Ce sont des formats que j'apprécie beaucoup et qui me permettront une respiration avant t'entamer un nouvel album, pour lequel j'ai déjà quelques pistes.

Le 5 avril 2025