Interview de Roberto Zaghi, à propos d'Attraction

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Attraction, parue aux éditions Les Humanoïdes Associés, en lisant l'interview de son dessinateur, Roberto Zaghi.
Comment êtes-vous devenu dessinateur ?
Enfant, je dessinais beaucoup, principalement des mecha des premiers animés japonais et des super-héros Marvel, puis, pendant toute mon adolescence, j'ai négligé le dessin. À 22 ans, après un accident de moto, j'ai découvert par hasard qu'un cours de bande dessinée était organisé dans ma ville et je m'y suis inscrit. Cela s'est tellement bien passé que j'ai interrompu mes études de chimie et que j'ai commencé à travailler comme illustrateur pour Sergio Bonelli Editore. Au fil des ans, j'ai dessiné des dizaines d'albums pour eux, dont Zona X, Nathan Never, Legs Weaver, Julia, Orfani et Tex Willer. Les deux enseignants de ce cours de bande dessinée à distance sont toujours mes professeurs et amis, Germano Bonazzi et Nicola Mari. En 2007, j'ai également commencé à dessiner pour le marché français en commençant par la série Thomas Silane de Buendia et Chanoinat (Grand Angle).
Comment avez-vous rencontré ou été mis en contact avec Jerry Frissen, le scénariste d'Attraction. Vous êtes Italien, lui est Américain, et le livre est destiné au marché français.
J'ai rencontré Jerry grâce à l'éditrice Camille Thelot-Vernoux, qui m'a proposé le scénario d'Attraction, alors que j'avais déjà réalisé Le Vent des Libertaires avec Philippe Thirault pour Les Humanoïdes Associés. Pour ce qui est de la langue, mon français n'est malheureusement pas très bon, mais heureusement pour moi, au sein des Humanoïdes Associés, nous parlons aussi anglais et cela m'a permis de bien communiquer par e-mail et en personne.
Attraction étant destiné au marché français, donc sans traduction italienne, cela ne génère-t-il pas un regret pour vous, car vous ne pourrez pas partager ce livre avec vos proches et vos amis, ni avec les fans italiens qui vous suivent ?
Comme toujours, la langue source est le français, mais rien n'empêche le livre d'être traduit dans d'autres langues, par exemple Le vent des Libertaires a été traduit en néerlandais, en anglais et en espagnol. Quant à Attraction, une version destinée au marché américain a déjà été annoncée sous le titre Star-Crossed (sortie en février 2024). Si des éditeurs italiens sont intéressés, tant mieux.
Quel type de scénario Jerry Frissen vous a-t-il envoyé ? Dans quel état d'esprit un dessinateur aborde-t-il la lecture d'un scénario, et quels sont les premiers gestes de dessinateur que vous faites durant, ou après cette lecture ?
Le scénario d'Attraction est classiquement divisé en pages et en vignettes, avec des dialogues et des effets sonores. Jerry m'a décrit la quantité idéale de détails, ni plus ni moins, afin d'enflammer mon imagination et de me laisser libre de dessiner. Avec le scénario, j'ai également reçu un grand dossier d'images qui m'a servi de point de départ pour concevoir les éléments les plus importants de l'histoire. Les premières choses sont toujours l'étude des personnages et la conception des éléments pertinents, dans ce cas la base orbitale, les formes de vie extraterrestres et les vaisseaux spatiaux, etc.
Vous écrivez dans les remerciements « Merci pour cette histoire passionnante qui m'a fait dessiner et rêver en même temps. » Malgré les tensions scénaristiques, les thèmes sombres développés dans l'album, et une fin triste (on espère jusqu'au bout…), le lecteur est pris dans une sorte de rêve finalement très poétique. Pourtant les codes graphiques de la science fiction sont loin d'être ceux de l'héroic-fantasy. Comment avez-vous réussi a créer ce sentiment de douceur, de rêve dans un contexte si hostile et froid ?
J'aime faire agir les personnages, avec mes forces et mes faiblesses qui deviennent inévitablement les leurs. Mais le récit est surtout porté par la mise en scène et l'atmosphère, et j'ai essayé de canaliser tout cela de manière à rendre concrètement au lecteur les visions que Jerry me proposait scène après scène. Nous voulions exagérer le contraste entre la première partie du livre, qui se déroule principalement à bord de la station terrestre, et la seconde partie, qui se déroule presque entièrement en territoire extraterrestre. Au cœur de tout cela, il y a l'histoire d'amour entre Danko et No'Mi, un amour profond mais triste, presque désespéré, à l'image des mondes qu'ils traversent dans leur fuite.
Malgré le fait qu'Attraction soit une histoire entre des humains et des extra-terrestres, l'album est terriblement humain, de la première case à la dernière. Est-ce cela transparaissait déjà dans le scénario de Jerry Frissen, où est-ce votre adaptation du scénario en bandes dessinées qui a créer cela ?
Au fur et à mesure que l'histoire se déroule, No'Mi est submergée par les sentiments et en cela, elle est en effet semblable aux humains. En termes de dessin, j'ai donc essayé de la faire bouger en conséquence, en lui donnant des expressions qui montrent de plus en plus ce qu'elle ressent pour Danko.
La couleur est signée Ive Svorcina. Vous avez donc créé les dessins sans les couleurs. Est-ce que, dans ce cas, le dessinateur raisonne en noir et blanc, comme en photographie, ou malgré tout le raisonnement est-il en couleurs, vu que le rendu final sera en couleurs ? Et comment raisonnez-vous en couleurs alors que vous travaillez en noir et blanc ?
Nous avons eu la chance d'avoir avec nous Ive, un coloriste très talentueux qui a collaboré au plus haut niveau dans la bande dessinée américaine. Sa vision et son habileté technique ont été déterminantes pour plusieurs scènes du livre. Je dessine en noir et blanc, mais dans certaines planches, j'ai fait un traitement en gris pour rendre plus clair ce que j'avais à l'esprit sans avoir à recourir à une utilisation trop intense du noir. Yve a toujours apposé sa forte empreinte stylistique, ce qui rend l'ensemble homogène et puissant.
À quel moment placez-vous vos bulles, et comment décidez-vous de sa forme, de son emplacement ? Avez-vous un regard sur la typographie finale qui sera utilisée, afin de savoir la place à laisser ? Réadaptez-vous parfois la longueur des dialogues pour ne pas utiliser des bulles trop grandes ?
Personnellement, je m'occupe du lettrage, qui doit se fondre dans la composition et guider le lecteur à travers les points focaux. Je joue avec la forme des bulles pour créer une ambiance ou un effet particulier (par exemple, des voix provenant de l'intérieur des combinaisons ou de créatures extraterrestres). L'équipe éditoriale m'a proposé plusieurs polices de caractères et nous avons choisi ensemble celle qui nous convenait le mieux.
Comment travaillez-vous ?
Dans les 108 planches d'Attraction, j'ai varié la technique entre le numérique et le traditionnel sur papier. La partie entièrement numérique est la première moitié du livre, où j'ai utilisé mon logiciel préféré (Clip Studio Paint) et ma chère vieille Wacom 22. Les planches sur papier, en revanche, sont au format A3 normal et encrées à la plume, au pinceau ou à l'aide de divers marqueurs.
Combien de temps vous a demandé la réalisation d'Attraction ?
Environ trois ans, pendant lesquels j'ai également réalisé deux volumes de la série Tramp, écrite par Jean-Charles Kraehn pour Dargaud.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
La révision finale du livre s'est faite à Tokyo, dans la maison de mes beaux-parents, avec l'iPad posé sur le tatami.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
En ce moment, je travaille sur le volume 14 de Tramp et sur une histoire de Tex Willer pour Sergio Bonelli Editore. Il y a de nouveaux projets en cours pour Les Humanoïdes Associés, mais il est encore trop tôt pour en parler.
Le 4 novembre 2023