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Interview de Samir Dahmani, à propos de Korean Night Stories : Quand arrive l'aube nautique

Couverture de la BD Korean Night Stories : Quand arrive l'aube nautique

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Korean Night Stories : Quand arrive l'aube nautique, parue aux éditions La Boîte à Bulles, en lisant l'interview de son auteur, Samir Dahmani.

Comment êtes-vous devenu auteur de BD ?

J'ai commencé à vraiment dessiner quand j'étais adolescent. J'ai fréquenté un atelier de cours du soir (BD) à Audincourt quand j'étais au lycée, puis j'ai suivi des études d'art à Lyon et à Angoulême.

Comment vous est venu l'idée du scénario de Quand arrive l'aube nautique ?

Depuis un moment, j'avais envie de faire une histoire sur la nuit, je ne savais pas comment l'aborder. Ce qui m'intéressait, c'était les contrastes et les couleurs de ce moment qui, je trouve, est plein de poésie. Je l'ai croisé avec un autre sujet pour que je puisse en faire une histoire. Cet autre sujet m'est venu lors des cours que je donne ; j'ai remarqué que mes étudiants qui ont environ la vingtaine se posaient beaucoup de questions sur leur identité. Je trouvais ce sujet intéressant, je l'ai donc lié à ma première intention et c'est comme ça qu'est née l'histoire de cette adolescente qui passe dans le monde adulte.

Comment travaillez-vous l'écriture de votre scénario ?

Je ne sais pas écrire comme le ferai un scénariste, tout se passe sur mon carnet, sur lequel du texte (idées, dialogues, description…) répond à des croquis que j'organise par la suite sous forme de cartes (ou de post-it) pour la structure de l'histoire.

L'amateur de manwha (manga coréen se lisant dans le sens de lecture européen) que je suis a été ravi de retrouver l'ambiance et les codes propres à la bande dessinée coréenne dans Quand arrive l'aube nautique. Le manwha étant ultra confidentiel hormis en Corée, comment avez-vous réussi ce tour de force à faire de Quand arrive l'aube nautique une vraie BD coréenne ? Un indice sur votre profil montre que vous parlez coréen ce qui est plutot rare et que vous connaissez donc très bien cette culture. Comment la Corée s'est-elle présentée à vous ?

Je ne connaissais pas grand chose à la Corée avant que je rencontre ma femme. Depuis là, j'ai toujours été curieux de cet endroit lointain, que ce soit dans l'organisation de la société et la manière de vivre, l'architecture, l'histoire, la cuisine… Toute cette curiosité nourrit mes histoires qui tournent (pour le moment), toutes autour de la Corée. Je n'arrive pas à parler de mon quotidien ici en France, c'est un peu une sorte de manière de voyager. Je suis ravi de lire que mon travail présente des similitudes avec le manhwa coréen, pourtant ce n'était pas dans mes premières intentions. Mon travail est la somme de beaucoup d'influences (cinéma (coréen, japonais et autres), manga, photographie…) qui ont donné l'Aube nautique.

La bande dessinée commence presque par la plastie du nez de Seong-Ji et de Jiwon, ce qui peut surprendre le lecteur. Avec la plastie des yeux, elle était un rite de passage à l'âge adulte dans les années 2000, est-ce toujours le cas aujourd'hui ?

Il me semble qu'aujourd'hui, la rhinoplastie est bien plus populaire qu'au début des années 2000.

De la page 88 à la page 93, Seong-Ji et la jeune femme énigmatique se retrouvent dans une allégorie liquide. Que représente ici l'eau qui les enveloppe et dans laquelle elles évoluent ?

Je voulais que ce soit une parenthèse onirique dont nous ne sommes pas sûrs que ce moment se soit déroulé, qu'il y ait une incertitude sur la relation entre les deux personnages.

L'épilogue ne met pas en scène Seong-Ji, qui a été la narratrice durant tout le livre et dont les dernières paroles sont « Par ses “visites” c'est comme si mon fantôme m'avait conduite en mon for intérieur pour me montrer les pièces qui me composent. Je ne les ai pas toutes vues. Mais je trouverai la plus cosy d'entre elles. Celle dans laquelle j'ai envie de me trouver désormais. » S'il n'y avait pas la réapparition de la jeune femme énigmatique, on en serait à se demander si le “fantôme” de Seong-Ji a bien exister. La question qui brûle les lèvres est : est-ce que la pièce la plus cosy dans laquelle aimerait être Seong-Ji ne serait pas une métaphore de la mort ? Quel “avenir” hors album lui avez-vous alloué, après son chagrin amoureux et son licenciement ? On l'accompagne durant tout le livre et la fin, typiquement coréenne, nous laisse un peu en plan.

L'idée que la pièce la plus cosy est la mort ne m'a jamais traversé l'esprit. Ce moment que vous décrivez devait être la fin du livre (du one-shot), je comprends votre point de vue, mais si on regarde bien, ça peut être considéré aussi comme une fin plus optimiste : « Certes, je ne sais pas qui je suis, je suis perdue, mais je garde espoir et je trouverais qui je suis réellement. » Et ainsi, elle se met en route pour trouver un lieu qui lui convient et commence sa recherche. Je ne pouvais pas finir là-dessus, il y avait trop de questions auxquelles il fallait répondre. Je me suis dit que c'était une bonne idée d'ajouter un épilogue, qui est une parenthèse qui ouvre sur quelque chose de nouveau, qui apporte l'information que “le fantôme” est revenu.

Toujours dans la pure tradition des histoires coréennes, l'histoire est pleine de suggestions, de non-dits et de rencontres râtées. Seong-Ji aime Jiwon, la jeune femme mystérieuse aime Seong-Ji, et au final la jeune femme mystérieuse se montre amère envers Seong-Ji dans la dernière page du livre. Est-ce que cette fin était celle que vous aviez imaginé dès le début, où s'est elle mise en place vers la moitié du livre ?

Si vous parlez de la fin où elle part sous la neige, elle est arrivée en cours de récit. Le livre devait se terminer sur la fenêtre éclairée, page 129.

Le dessin de Quand arrive l'aube nautique évoque l'aquarelle, comment travaillez-vous le dessin et la colorisation ?

Je travaille uniquement en tradi : couleurs directes ; je fais uniquement mes découpages en numérique parce que c'est un gain de temps précieux pour replacer ou refaire des cases quand ça ne marche pas.

Combien de temps vous a demandé la réalisation de cet album ?

Cet album m'a pris environ un an et quelques mois (storyboard compris).

Avez-vous une anecdote sur la réalisation de Quand arrive l'aube nautique ?

Je ne suis pas sûr que j'aurais de peindre à nouveau l'intérieur d'une épicerie, il m'a fallu beaucoup de temps pour peindre chaque article !

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Actuellement, je suis dans l'écriture de la suite. :-) Comme je l'ai dit, l'épilogue ouvre sur quelque chose de nouveau qui répondra aux questions. 

Le 8 janvier 2024