Interview de Shinja, à propos de Soà : Le Silence de mes cris

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Soà : Le Silence de mes cris, parue aux éditions Grand Angle, en lisant l'interview de son dessinateur, Shinja.
Comment êtes-vous devenu dessinateur ?
Tout a commencé par une conversation sur Dragon Ball. J'avais 20 ans, et j'étais encore étudiant en fac d'anglais. Un jour, en discutant avec un ami, je me suis rendu compte que je n'avais jamais vraiment fini Dragon Ball quand j'étais enfant. Par curiosité, je me suis lancé dans un marathon pour tout revoir. Et là, quelque chose s'est réveillé. Comme si je retrouvais ce môme en moi qui gribouillait ses héros préférés sur des bouts de papier. Du coup, j'ai commencé à dessiner des persos de Dragon Ball sur des feuilles premier prix. Plus je regardais d'anime, plus je dessinais. C'est devenu une sorte de rituel. À force, j'ai commencé à me sentir plus solide avec mes dessins. Puis j'ai rencontré un ami, un artiste qui dessinait uniquement ce qu'il avait dans la tête. Ça m'a fasciné. Ne plus copier, mais inventer. J'ai commencé à apprendre avec lui, et très vite, j'ai su que c'était cette direction que je voulais prendre. Alors j'ai laissé tomber les études d'anglais et je me suis inscrit en école d'art, en BD cette fois.
Comment avez-vous rencontré Gérard Cousseau, le scénariste, et comment avez-vous travaillé avec lui ?
J'ai rencontré Hervé Richez (de Grand Angle) par l'intermédiaire d'Afif Khaled. Hervé m'a d'abord proposé un script avec une histoire moderne, mais j'étais un peu réticent, n'étant pas particulièrement fan de l'esthétique moderne en général. Puis il a suggéré le script de Gérard, et dès que je l'ai commencé, les scènes et les personnages ont commencé à prendre vie dans ma tête. J'ai su tout de suite que c'était l'histoire que je voulais illustrer. Il n'a pas fallu longtemps pour que l'on se lance, et nous avons commencé à travailler sur des pages tests et des designs de personnages. Au début, j'ai tenté de construire les pages directement à partir du script, mais en tant que première longue BD, j'ai vite réalisé que ce n'était pas la méthode la plus fluide. Gérard, avec son expérience, a proposé de faire des petits croquis pour donner un aperçu du rythme et de la mise en scène. Ça m'a permis d'avoir une base sur laquelle je pouvais m'appuyer pour réinterpréter les scènes à ma manière. Je redessinais tout dans mon propre style, scène par scène, puis je lui envoyais mes planches pour recueillir ses retours avant d'attaquer les versions finales.
Quelles sont vos influences graphiques ?
J'ai toujours eu du mal à identifier une seule influence claire, un seul artiste ou style qui aurait guidé mon travail. Mais si je remonte à mes débuts, c'est sans aucun doute le manga japonais qui m'a ouvert la voie ; des artistes comme Kentarō Miura et Takeshi Obata m'ont profondément marqué. Ensuite, en m'orientant vers la peinture digitale, je me suis beaucoup tourné vers le concept art, notamment dans le jeu vidéo. L'univers visuel de Dishonored, en particulier le travail de Sergey Kolesov, m'a beaucoup influencé, tout comme l'esthétique sombre et poétique des jeux de FromSoftware. Avec le temps, j'ai puisé de l'inspiration chez de nombreux artistes aux styles variés. Parmi ceux qui m'inspirent particulièrement, il y a Ruan Jia, Loish, Even Mehl Amundsen ou encore Loputyn. Et dans le monde de la bande dessinée, je suis sensible à de nombreuses approches, mais j'apprécie tout particulièrement les univers d'Enrique Fernández.
Comment avez-vous travaillé le dessin et la couleur ?
Le travail a été réalisé entièrement en numérique, à l'aide d'une Wacom Intuos Pro et du logiciel Clip Studio Paint. Il m'est arrivé, à l'occasion, de faire quelques croquis rapides sur papier ou sur iPad avec Procreate, notamment pour des storyboards improvisés. Mon processus commençait généralement par la lecture des storyboards de Gérard, à partir desquels je griffonnais mes propres vignettes pour réinterpréter les scènes selon ma vision et mon découpage. Ensuite, je passais à l'esquisse de la planche : je posais les cases, les perspectives, les bulles de texte, et parfois même quelques lavis de valeurs pour me rapprocher le plus possible du rendu final souhaité. Une fois la planche esquissée, je l'envoyais à Gérard pour retour et validation. Puis venait la phase de dessin des personnages, que je mettais en couleur avant de passer à la peinture des décors, jusqu'à ce que la planche prenne sa forme définitive.
Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?
Le projet entier a duré environ trois ans. Il y a eu quelques interruptions liées à certaines circonstances, mais c'était aussi un choix de privilégier la qualité plutôt que la rapidité. Je tenais à accorder à chaque page toute l'attention qu'elle méritait.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Au fil du temps, à mesure que le projet avançait, ma progression artistique semblait suivre celle des personnages, en particulier de Soa. La chronologie de l'histoire, avec ses subtils changements d'âge des personnages, s'est naturellement mêlée à mon propre parcours d'artiste. À mesure que Soa vieillissait, mon approche de l'œuvre se perfectionnait, permettant à cette évolution visuelle de paraître aussi organique qu'intentionnelle. C'était comme si mes compétences mûrissaient en même temps que le personnage.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
En ce moment, je collabore avec un développeur sur un projet de jeu de cartes à collectionner, un domaine qui me passionne particulièrement, j'ai toujours eu un intérêt marqué pour les JCC et les mécaniques de jeu. Parallèlement, je travaille sur mon propre projet de JCC, Kayan, auquel je reviendrai dès que j'aurai plus de temps. En dehors de cela, je développe d'autres histoires, dont l'une que je suis en train de transformer en script pour un potentiel album de BD, tandis qu'une autre pourrait servir de lore pour un jeu vidéo. C'est une période bien remplie, mais je suis vraiment enthousiaste de voir où ces projets me mèneront.
Le 11 mai 2025