Interview de Souky, à propos de La Petite Fille oubliée

Découvrez les coulisses de la bande dessinée La Petite Fille oubliée, parue aux éditions Bubble BD, en lisant l'interview de son auteur, Souky.
Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?
J'ai pris la décision après un burn-out dans mon précédent travail. Me lancer dans la bande dessinée professionnellement semblait le moment idéal. J'ai profité de mon chômage pour assurer ma reconversion. J'ai vite réalisé que je ne pouvais pas travailler chez moi, alors j'ai trouvé une place dans un atelier partagé et l'aventure pouvait débuter…
La clé de La Petite Fille oubliée se trouve dans la postface que vous avez rédigée. Pourquoi avoir choisi de donner cette clé après le récit et non avant ?
Lorsque j'ai écrit LA petite FILLE oubliée, malgré le fait qu'elle se nourrit de mon passé, ce n'était clairement pas l'écriture d'une autobiographie. Je voulais écrire une histoire dans laquelle le lecteur puisse s'immerger. Que l'on se mette à la place de l'enfant. Les adultes infantilisent la parole des enfants, la sous-estiment trop souvent pour ne pas avoir à y répondre. Par convention, cela permet à la société de se déresponsabiliser. Les enfants sont des éponges. Ils enregistrent tout. C'est le sujet du livre, je pense. Son cœur. Partager cette postface à la fin du livre, pour moi, c'était logique pour ne pas en parasiter la lecture. Mais aussi, je l'ai écrite à la toute fin de cette expérience, donc…
Dans votre postface, vous écrivez « pour qu'on ne m'oublie pas » et, dans le livre, il y a un endroit, avec plein de peluches, intitulé « aux oubliés ». Pouvez-vous revenir sur cette notion d'oubli et le sens que vous lui donnez ?
Cette notion de l'oubli (pour moi) vient notamment de la mort et du sens que l'on accorde à la vie (surtout à la sienne). La mort ou l'idée du suicide, petit et ado, j'y pensais tous les jours quasiment. Mais bon, je veux pas dramatiser davantage. J'avais surtout envie de vivre, je vous rassure. Mais c'est la question du sens donné à ma vie et surtout son absence de réponse qui me plongeait dans de profonds abîmes. J'avais peur que mon existence n'ait pas d'utilité ou de signification au regard des autres. Cela vous ronge de l'intérieur sans le savoir. Profiter de la vie au présent, c'est se fabriquer des souvenirs pour plus tard. C'est survivre dans la mémoire des autres.
La Petite Fille oubliée est un roman graphique en noir et blanc dont les dernières planches sont en couleurs. Pourquoi cette fin en couleur ?
Quand vous vous lancez dans la réalisation d'une bande dessinée, la première question qu'on vous pose (l'éditeur !), c'est en combien de temps vous pouvez la réaliser. Perso, avec mes économies et l'avance touchée, j'ai vite conclu au noir et blanc (pour des raisons clairement économiques vu le prix du papier) et aussi aux possibilités que cela m'offrait. Et comme c'était un sujet un peu touchy, dirons-nous, me retrouver avec ma plume, un pinceau et de l'encre de Chine pour seuls outils, j'avais la sensation que tout me viendrait plus naturellement. Cette contrainte s'est vite révélée comme un cadre pour mon travail. En ce qui concerne la couleur, ben pour la petite histoire mon éditeur n'arrêtait pas de me suggérer d'en mettre dans le récit. Il était pas lourdingue et j'étais sûr de mon fait, mais lorsque j'arrivais vers la fin de la réalisation, l'idée que l'épilogue soit en couleur est devenue évidente.
Avez-vous respecté les étapes traditionnelles de la réalisation d'une BD, à savoir synopsis, scénario, storyboard, crayonné, encrage, ou avez-vous shunté certaines étapes ?
Dans le dossier que j'ai réalisé avec les conseils de mon agent, j'avais déjà le scénario complet de LA petite FILLE oubliée ainsi qu'un séquençage du livre. C'est un document dans lequel je résumais chaque page du récit en une seule phrase. Vous êtes pas obligés de le respecter, ça aide surtout à se donner une idée du nombre de pages que va compter l'ouvrage. C'est utile. Ensuite, pour la réalisation des planches, j'ai choisi différents extraits pour que les éditeurs puissent se projeter au mieux avec le projet. Pour le storyboard, j'en fais peu. Quelques passages, notamment lorsqu'après la signature j'ai pu enfin dessiner les planches par ordre chronologique, j'allais forcément rejoindre certaines parties déjà conçues pour le dossier. S'il y a une étape que je shunte (je ne connaissais pas cette expression :D), c'est surtout les crayonnés. J'en fais peu. Peu détaillé. Parfois, je n'en fais pas. Tout ce que je trace sur ma planche, c'est les bords et les diagonales. Pour que mon œil sache où se situe le centre. Question d'équilibre. Après, c'est la confiance qui parle.
Comment avez-vous travaillé le scénario ?
Après des cauchemars, je me suis posé et j'ai écrit. Quasi d'une traite. L'écriture a été assez fulgurante. Les réécritures ont été assez brèves également mais nécessaires. D'ailleurs, il y avait des passages nullement notés dans le scénario mais que j'avais déjà en tête. Cela aurait été mal compris si je m'étais contraint à les décrire à l'écrit.
Comment avez-vous travaillé le dessin ?
Moi, je bosse en traditionnel, à la plume notamment (importées du Japon), et avec quelques feutres et pinceaux pour les aplats et certains effets. Pour le blanc, du poska et de l'acrylique. J'ai aussi utilisé du scotch de protection pour des compositions et les bulles. Pour que cela puisse être le plus propre possible, ça m'a éclaté étrangement, surtout les découpes au scalpel.
Comment avez-vous travaillé la couleur pour les dernières planches ?
Pour les couleurs, j'ai utilisé de l'aquarelle. Des encres aquarellables mais aussi (surtout !) des feutres aquarellables de chez Action. Une gamme de 60 couleurs pour 30 balles qui dit mieux ! Et aussi des crayons de couleurs pour la dernière planche ainsi que la couverture de l'album.
Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?
Du premier mot jusqu'au dernier trait… Quasi deux ans et demi de ma vie. Cela comprend également le temps de gestation pour que le dossier trouve son éditeur.
Comment votre famille a réagi lors de la lecture de cette œuvre très intime ?
Cela a beaucoup ému ma petite sœur, et ma mère... Ben en fait ma mère ne lit pas. J'ai réalisé ça il y a pas longtemps vu que tout le monde me demande ce qu'elle en a pensé mais.. ma mère ne lit pas. Elle sait lire, c'est pas ça le truc. C'est juste que ma mère ne lit rien. Ses trucs à elle, c'est la cuisine et les dramas. Mais aussi maintenant la peinture ! Depuis que je suis devenu professionnel ma mère s'est mise à l'aquarelle. C'est incroyable. Cela me remplit de joie.
Quel est votre ressenti sur cet album maintenant qu'il est terminé ?
Qu'il me faut des vacances. Sinon c'est étrange, une immense fierté m'envahit mais aussi une certaine... mélancolie. Pour être honnête, en arrivant vers la fin de la réalisation du bouquin j'ai fait exprès de ralentir le rythme. Histoire de profiter pleinement.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Alors c'est incroyable, mais j'ai trouvé du taf chez Fluide Glacial ! Je réalise des sketchs pour le mensuel et mon premier gag va paraître pour le numéro de juillet. Cela s'intitule Les Chroniques du béton. Et sinon, je bosse sur le dossier d'une série que je veux proposer. C'est avec des sorcières et cela s'appellera RœuS.
Merci pour toutes vos questions, maintenant je vais dormir.
Le 5 juin 2025