Interview de Sylvain Runberg, à propos des Griffes du Gévaudan

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Les Griffes du Gévaudan, parue aux éditions Glénat, en lisant l'interview de son scénariste, Sylvain Runberg.
Comment êtes-vous devenu scénariste de BD ?
Je suis devenu scénariste de bande dessinée par accident, au sens propre. J'ai toujours été lecteur de bande dessinée, j'ai aussi travaillé au départ comme libraire puis dans l'édition et puis vers 2001, j'ai eu un accident, avec une période de rééducation. Comme je m'ennuyais sur mes béquilles, je me suis essayé à l'écriture de fiction à cette période. Ça m'a plu, et en 2004, j'ai eu plusieurs projets qui ont été acceptés par différentes maisons d'éditions. J'ai quitté mon travail et cela fait maintenant plus de 20 ans que je suis scénariste de bande dessinée (entre autres) avec maintenant plus de 130 albums parus.
En 2016, vous scénarisez le premier tome du Chant des Runes, mis en images par Jean-Charles Poupard, qui signe le dessin et la couleur des Griffes du Gévaudan. Pouvez-vous revenir sur votre rencontre et sur comment s'est reformé votre binôme ?
C’est notre éditeur chez Glénat, Philippe Hauri, qui nous a mis en contact pour Le Chant des Runes. Le contact est tout de suite passé entre Jean-Charles et moi, professionnellement, humainement, et nous avons publié ensemble quatre tomes du Chant des Runes, avant de passer aux Griffes du Gévaudan.
Comment vous est venue l'idée de scénariser une bande dessinée sur la “Malbête” ?
De mémoire, c'est Jean-Charles qui le premier m'a parlé de son intérêt pour cette affaire, et il se trouve que moi aussi, je m'y intéressais. Ça s'est donc imposé comme une évidence pour nous de réfléchir à un projet autour de cette thématique.
En fin d'ouvrage, vous signez tous les deux un dossier de cinq pages, intitulé L'Affaire du Gévaudan. Dans ce dossier, vous expliquez le contexte historique, en émettant des doutes sur le fait que ce soit un loup qui ait tué une centaine de personnes durant quatre ans. Pourtant, la version “officielle” est qu'il s'agit d'un “gros animal qui a quelque chose du loup, mais pas tout à fait, ayant une tête hideuse, un manteau rouge, blanc et gris”. Si vous réfutez l'idée du loup, quelle théorie vous semble plus plausible ?
En réalité, il n’y a pas de « théorie officielle ». Cette affaire reste non résolue et diverses hypothèses existent, se confrontent. Mais il y a cependant des éléments, très clairs, qui viennent mettre en doute l’hypothèse d’un loup, comme nous l’évoquons dans ce dossier. D’abord, le loup est un animal connu et commun dans le Gévaudan à l’époque, et les populations locales ne les craignent pas particulièrement, ce sont les loups qui sont craintifs, faciles à mettre en fuite, et qui ne s’attaquent que très rarement aux humains. Or, de nombreuses attaques de la « Malbête » ont lieu de jour, avec de très nombreux témoins, dans des zones habitées. Et tous les témoignent convergent, il ne s’agit pas d’un loup, mais plutôt d’un très gros chien, hybride, pourquoi pas, personne n’a la réponse. Et si à l’époque la zoologie n’en était qu’à ses balbutiements, avec le recul, les témoignages sur la manière dont se comportait l’animal viennent aussi mettre à mal la théorie du loup. Ce qui est décrit sur l’attitude de la « Dévoreuse » correspond plutôt à un chien (ou plusieurs) qui avait l’habitude d’être en présence d’être humain, ce qui explique aussi l’audace et la férocité de ces attaques à répétitions.
Nous sommes dans un XVIIIe siècle, abêti par le christianisme, et le loup anthropophage est un signe du fléau divin. Or, la Révolution va passer par là, détruisant la majeure partie des archives religieuses du pays. De fait, la “vérité” sur la “Malbête” repose sur une peau de chagrin. Beaucoup de livres ont été écrits, mais il n'y a que très peu de sources et toutes reposent sur des témoignages peu fiables. De fait, dans l'ensemble du diptique, avez-vous décidé de partir sur une histoire la plus fidèle possible à ce que l'on sait, ou avez-vous décidé d'explorer des sentiers inédits en parallèle de la partie purement historique ?
Comme je le dit plus haut, ils existent en réalité de nombreux témoignages, mais ils ne permettent pas l’élucidation définitive de ce qui s’est passé. Et l’idée d’une population du Gévaudan qui serait incapable de reconnaitre un loup et qui serait superstitieuse au point de voir des monstres à l’entrée de leurs villages est un apriori qui a largement ses sources dans l’idée que se faisait le pouvoir royal de ces populations rurales. Ces attaques ont été réelles, ces populations ont vécu dans la terreur pendant trois années, il y a eu des centaines de victimes, personne n’a reconnu un loup lors des attaques mais pour autant il n’y a pas eu non plus de description fantasmagorique donnée par les gens du Gévaudan à l’époque, ils évoquaient un gros chien plus qu’autre chose. L’autre question centrale – non résolue – c’est que certains témoignages laissent penser qu’une intervention humaine pourrait être aussi associée à ces attaques (décapitations, vêtements arrachés) mais il n’y a pas de certitude absolue sur cet aspect là non plus.
Combien de temps vous a demandé les recherches et la rédaction du scénario ?
C'est un travail qui s'étale sur plusieurs années en réalité, avec des échanges nombreux entre Jean-Charles (qui s'est rendu dans le Gévaudan dans le cadre de la préparation de ce diptyque) et moi-même.
Comment avez-vous travaillé avec Jean-Charles Poupard, lui avez-vous livré un scénario détaillé à la case, ou lui avez-vous laissé plus de liberté ?
Je travaille toujours de la même manière, d'abord la description des séquences, pour avoir la colonne vertébrale de l'album, plus le découpage planche par planche, case par case, avec les dialogues et les textes, et Jean-Charles peut évidemment proposer, aménager, transformer dans le cadre de nos discussions lors de nos avancées sur l'album.
Si les cartouches en imitation parchemin sont très esthétiques et participent à l'immersion narrative, elles posent le souci d'offrir un contraste très faible entre le moiré de fond et la couleur de la police d'écriture. Ajouté à une typographie qui varie constamment en largeur, en hauteur et en interlignage, même au sein d'une même case, l'album s'avère fatigant à lire. C'est malheureusement une tendance à de nombreux ouvrages depuis quelques années. Est-ce dû à une évolution des scénarios, qui sont de plus en plus fournis, mais qui doivent être condensés pour répondre au besoin de la pagination BD, ou est-ce dû au lettrage ?
Je n'ai pas de réponse générale à donner ici. Cet album et son lettrage correspondent à nos choix éditoriaux sur ce projet. Est-ce que ça participe à une tendance plus globale ? Je n'en ai pas l'impression. C'est plutôt en fonction du projet et des auteurs concernés.
Pourquoi avoir choisi le format dyptique plutôt qu'un one shot plus gros, sachant qu'une part du lectorat se perd toujours en route dès qu'il y a plusieurs tomes ?
Il faut plus de 18 mois pour Jean-Charles pour réaliser un tel album. Un one shot aurait posé des contraintes économiques et éditoriales trop importantes dans ce cadre. Et le diptyque reste encore un format très apprécié par une large partie du lectorat.
Avez-vous une anecdote à propos de cet album ?
Probablement l'un de mes albums où les lecteurs et les lectrices nous ont dit l'attendre avec impatience, preuve que l'affaire du Gévaudan continue de fasciner. Je pense que c'est l'équivalent français d'un Jack l'Éventreur dans notre imaginaire collectif, notamment à cause de l'horreur des faits qui se sont déroulés à l'époque dans cette région et de l'absence de résolution définitive, encore à ce jour.
Le second tome est à quel stade d'écriture et de dessin et quand est-il prévu ?
Le séquencier du tome 2 est achevé, la moitié de l'album est déjà découpée et Jean-Charles a déjà bien avancé sur les planches. Ça devrait être donc pour 2025 pour ce tome 2 conclusif.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Il y a notamment la suite des Griffes du Gévaudan, bien évidemment, mais aussi Outlaws T3 avec Eric Chabbert, Orbital T9, avec Serge Pellé, Blood Cruise, avec Vicente Cifuentes, Les Exilés de Mosseheim T2, avec Olivier Truc et Julien Carette chez Dupuis, Nephilims T2 et T3 avec David Dusa et Stéphane Créty, Zaroff T3 avec François Miville-Deschênes chez Le Lombard, Capitaine Flam avec Alexis Tallone chez Kana, Wonder Woman avec Miki Montllo chez Urban/DC, Angor avec Luc Brahy et La Source T2 avec Olivier Truc, Gael Branchereau et Damour chez Phileas, l'adaptation de Warship Jolly Roger avec les studios Proxima et divers projets en jeux vidéos et séries TV.
Le 10 janvier 2024