Interview de Tebo, à propos de Qui est ce Schtroumpf?

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Qui est ce Schtroumpf ?, parue aux éditions Le Lombard, en lisant l'interview de son auteur, Tebo.
Dans les notes de début de livre, on peut voir que vous avez fait avec Zep, neuf albums de Captain Biceps ensemble. Page 7, la bosse du Schtroumpf en noir et jaune, et certains autres détails, comme la page 25 sans fond, rappelle l’univers de Titeuf, bien qu’entièrement différent. Zep est-il une influence ?
Graphiquement on a un style cousin, car on a les mêmes influences, comme Gotlib. J’ai bossé avec lui sur Tchô ! depuis le tome 0, ça fait 25 ans qu’on est super potes. On a le même humour, et on est devenu super copain avant même de travailler ensemble. Il y a peut-être aussi les petits points que j’ai utilisés dans cet album, pour les yeux, comme dans Titeuf, j’avais fait pareil avec Mickey. Mais si Zep avait dessiné les Schtroumpfs, ça aurait été différent.
La question a fait débat sur le web et la télé, avec Hanouna… Pourquoi avoir enlevé les talons de la Schtroumpfette ?
Le truc c’est que par rapport à ce qui a été dit par AFP, les journalistes ont voulu faire une grande annonce à la Lucky Luke qui ne fume plus, et ont inventé une raison féministe. En fait, ce n’est pas ça du tout. J’ai essayé de dessiner la Schtroumpfette avec des talons. Mes personnages sont plus fins que ceux de Peyo, et j’ai dessiné des pieds plus petits. Ça ne fonctionnait pas avec mon style de dessin. J’ai donc essayé plein de types de chaussures à la Schtroumpfette, et ce sont les ballerines qui ont marché. À vrai dire, au début je pensais m’en sortir plus facilement pour dessiner les Schtroumpfs. J’ai voulu que ça soit ma patte, mais qu’ils restent aussi mignons que dans l’univers créé par Peyo.
L’album multiplie les références à l’univers de Peyo. Comment intègre-t-on l’univers très particulier des Schtroumpfs, qui comporte de nombreux albums, le dessin animé, les films, etc. ?
À la base, je n’avais pas les albums. J’ai connu les Schtroumpfs avec le dessin animé, le Club Dorothée, et les figurines que j’ai collectionnées. La référence au Schtroumpf qui a la queue de bois n’est pas vraiment une référence, c’est une idée que j’ai eue. L’éditeur m’a dit que c’était génial, mais que ça existait déjà dans L’Œuf et les Schtroumpfs. Je lui dis que c’est mort, qu’on abandonne l’idée, car c’était déjà fait. Mais finalement, je l’ai gardé en l’amenant avec le Schtroumpf costaud, pour faire un running gag.
Dans chaque album des Schtroumpfs, Peyo, a toujours fait passer un message. Son fils, Thierry Culliford, qui a repris les scénarios de la série, a continué cela, même si le ton est différent. Comment on amène un tel message, sous-jacent, dans cet univers si particulier ?
Les Schtroumpfs, ce sont des amis. Je les ai racontés comme si le lecteur ne connaissait pas les Schtroumpfs. Même, si même ma grand-mère connaissait les schtroumpfs. Ce qui m’a marqué quand j’étais gamin, c’est l’amitié et l’entraide qui se dégageait. J’avais envie de mettre cela en avant. À la base je voulais faire le Schtroumpf bricoleur, à la place du Schtroumpf à lunettes, mais je ne le tenais pas au niveau du dessin, et j’ai donc mis le Schtroumpf à lunettes, qui m’intéressait aussi parce qu’il intellectualise tout. Ils ont chacun leur personnalité, leurs aptitudes, les Avengers c’est pareil. La Schtroumpfette par exemple aime résoudre les énigmes. Et le fait de les faire évoluer ensemble a permis de donner sur les cases en longueur une autre dynamique.
Page 25, le passage où tout se nomme schtroumpf, sauf le caillou, pointe du doigt ce que tout lecteur de Peyo a pensé à un moment où à un autre et que Peyo avait abordé dans Schtroumpf vert et vert schtroumpf, à savoir quel mot est schtroumpf et quel mot ne l’est pas. Cela doit être un vrai casse-tête pour écrire les dialogues.
Au début je voulais mettre beaucoup plus de terme Schtroumpf que ça. Surtout au début de l’album, pour que les lecteurs soient perdus comme le Schtroumpf qui a perdu la mémoire. Mais dans l’album, il y a l’histoire de qui sont les Schtroumpfs et de celle du Schtroumpf qui a perdu la mémoire. J’ai fait lire l’histoire à mon fils de 9 ans, et à un moment il a commencé à froncer les sourcils. J’en ai donc viré plein, pour n’en laisser qu’un ou deux par bulle, car ça prend aussi de la place dans les bulles, et quand on dessine, on a aussi envie d’avoir de la place pour voir le dessin. Et je voudrais attirer l’attention sur le fait qu’il n’y a pas de clin d’œil pour les adultes, ni de double langage.
On ressent que cet album a été un terrain de jeu. Comme l’auto dérision utilisée page 35 dans le dialogue entre le Schtroumpf costaud et le Schtroumpf à lunettes, où ce dernier dit « ça voudrait dire qu’on est dans une histoire pas super bien écrite ».
Avec les copains dessinateurs, on critique tout le temps les pirouettes scénaristiques, même entre nous, donc j’ai misé sur l’auto dérision avant qu’on ne me grille, car pour le dragon, je n’avais pas d’autre idée (rire). Il fallait assumer le fait que ça soit un terrain de jeu, car tu sais qu’on va t’attendre au tournant. Même si j’étais libre, il y a les ayants droit et il faut savoir que j’avais dix à quinze personnes qui relisaient. Tout a été validé, hormis la bosse du Schtroumpf au début et deux mots à changer.
Pourquoi la bosse du Schtroumpf a-t-elle été refusée ?
Au départ je voulais que la bosse ait la forme du bonnet, et qu’on la voie en lui enlevant le bonnet. Mais ça faisait dégueulasse, même si j’avais besoin de cette bosse pour justifier qu’il ait perdu la mémoire. Ça a été refusé car Peyo avait demandé que les Schtroumpfs gardent toujours leur bonnet. Et c’est vrai qu’un Schtroumpf sans bonnet, ça ne le fait pas. Il y a un équilibre de blanc et de bleu, sans le bonnet ça ne fonctionne pas. J’ai donc dessiné la bosse en ombrage, avec le bonnet, et ça a été validé.
Quand on fait le dessin, la couleur, et le scénario, comment procède-t-on pour ce dernier ? On écrit tout, ou l’on fait au fur et à mesure ?
J’ai trouvé l’idée, qui a été validée par l’éditeur. J’ai ensuite fait un petit script, après j’ai fait mon storyboard. Comme je suis scénariste et dessinateur, des fois, je ne sais pas où je vais et je suis ensuite obligé de sabrer, ou de faire une pirouette scénaristique. Donc je préfère tout écrire d’un coup et faire le storyboard sur Photoshop. Puis j’imprime sur papier très fort, et je fais mon crayonné, et j’encre à la plume. Ensuite je scanne et je travaille la couleur sur Photoshop. Au storyboard, je pensais maîtriser mes personnages, mais au crayonnage, ça n’allait pas, et j’ai aussi eu des soucis au scan. J’ai peut-être passé 7 heures par planche à tout corriger. En faisant l’album, j’ai déprimé, j’étais persuadé que je me plantais, alors que j’étais fier au moment du storyboard, mais à force de relire et de relire, les gags ne me faisaient plus rire.
Souvent dans les albums faits avec une colorisation numérique, on est graphiquement déçu, alors que dans cet album, au contraire, on prend plaisir à évoluer dans un album, restituant l’univers simple de Peyo. Quelle est la frontière ?
Je ne fais que des aplats, avec des zones d’ombre pour que mes personnages ressortent. Là c’est encore mieux, car la force des Schtroumpfs, c’est le bleu et blanc. On peut utiliser des couleurs très claires et ça fonctionne très bien. J’ai d’ailleurs utilisé un jaune fade comme celui de la couverture des Schtroumpfs noirs.
Combien de temps de travail a demandé cet album ?
Neuf mois. Normalement ça aurait dû prendre plus de temps, car j’ai une famille avec 3 enfants, et l’album ne devait paraître qu’en 2024. Mais comme le Lombard fête ses 77 ans, clin d’œil au Journal de Tintin, de 7 à 77 ans, il a été convenu que je rende l’album plus tôt. J’ai donc travaillé 10 à 14 heures par jour, 7 jours sur 7. J’avais déjà fait ça sur Mickey, et je m’étais dit, plus jamais ça ! Mais là, j’étais obligé pour tenir les délais. Quand j’ai écrit le script, j’ai fantasmé sur le rendu final, et il fallait assurer car on m’attendait au tournant et c’est pourquoi j’ai déprimé, mais maintenant que je vois le résultat final, je suis content.
Qui a eu l’idée de cet album ?
Il y a quatre ans, on m’a proposé de bosser sur un scénario sur les Schtroumpfs, mais je n’avais pas trop le temps, car j’étais sur Captain Biceps pour les éditions Glénat et Raowl pour les éditions Dupuis. Mais dès le lendemain, j’ai trouvé l’idée de ce schtroumf qui ne parle pas le Schtroumpf, mais je n’avais rien d’autre. Puis il y a un an, j’ai trouvé d’autres idées, et j’ai commencé à écrire les gags. J’ai contacté l’éditeur et les étoiles se sont alignées car deux semaines avant, il était en pourparler avec IMPS, la société qui gère les droits des Schtroumpfs pour monter une collection One-shot Schtroumpfs par…, et le directeur commercial d’IMPS avait cité mon nom pour faire le premier album, car il était fan de ma BD La jeunesse de Mickey.
Le 7 mai 2023