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Interview de Thierry Martin, à propos de Métal hurlant 11  : Vacances métalliques

Couverture de Métal hurlant 11  : Vacances métalliques

Découvrez les coulisses de la revue de bande dessinée Métal hurlant 11  : Vacances métalliques, parue aux éditions Les Humanoïdes associés, en lisant l'interview de l'un de ses auteurs, Thierry Martin.

Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?

Petit à petit, j'ai d'abord commencé comme story-boarder dans l'animation pendant plusieurs années, cependant l'envie de faire de la bande dessinée à toujours été là sauf que j'ai longtemps pensé que je n'avais pas le niveau pour oser présenter des pages à des éditeurs, puis un jour je me suis dit « et merde », tant pis si le retour est négatif, il fallait que je sache, je me suis convaincu que c'était le moment, j'ai passé mes quelques pages d'une histoire courte en cours à mon ami Jean-Marc Mathis qui publiait dans (À suivre) à cette époque pour qu'il les montres a son éditeur. Celui-ci a tout de suite été emballé par le dessin, mais pas par le scénario, j'ai donc demandé à Mathis de m'en écrire un et puis voilà, j'ai commencé en tant que dessinateur, puis de fil en aiguille, sur plusieurs années, tout en jonglant avec mon métier de story-boarder, j'ai commencé à être publié plus régulièrement et depuis quelques années, je me consacre à plein temps à la bande dessinée.

Vous avez réalisé des BD en tant que dessinateur, dessinateur-coloriste, scénariste-dessinateur, et aussi auteur complet. Aborde-t-on avec le même état d'esprit les albums suivant la casquette que l'on porte ?

Quelle que soit la casquette que je porte, je pense d'abord à la narration : comment je vais mettre en scène l'histoire qu'on me propose et que j'accepte de dessiner ? Que ce soit sur une page, dix pages ou plus, et surtout, a-t-elle un intérêt pour moi et pour ceux qui vont la lire. Pour celles que j'écris, je me questionne beaucoup plus, c'est nouveau pour moi. Je me remets sans arrêt en cause, je prends plus de temps, il y a une plus grosse prise de risque et ça me plaît beaucoup.

Comment avez-vous été amené à participer à Métal Hurlant ?

J'ai été contacté par la première équipe pour le numéro 1, j'étais flatté, mais je n'avais pas le temps et le concept du thème par numéro m'enfermait. Ils sont revenus vers moi pour le n°2 et c'était pareil. De plus, le temps me manquait, j'étais en bouclage sur un album. Quand la nouvelle équipe est arrivée, Jerry Frissen m'a contacté pour me proposer de me publier. J'avais un peu de temps à ce moment-là, nous avons convenu d'une date pour une visio pour qu'il me fasse part de sa vision de Métal Hurlant et des conditions. Pendant ce petit laps de temps de quelques jours, j'en ai profité pour travailler sur une petite idée qui me trottait dans la tête et peut-être lui en faire part lors de notre rendez-vous. J'ai donc réalisé un story-board et le jour J pendant notre visio et qu'il m'expliquait sa vision de Métal et de la différence avec les premiers numéros, de travailler si possible avec des auteurs « complet », que l'idée d'un thème imposé n'était pas rédhibitoire, je lui dis que c'est ce que j'espérai entendre et dans la foulée, je lui ai présenté mes 11 pages, qu'il a validées pour le N°5 , une histoire qui a pour titre La Faille et puis il m'a invité a proposer d'autres histoires, ce que j'ai fait pour le n°9 avecFrères de sang 15 pages et puis pour le N°11 La Machine à rêver » qui est une suite de La Faille parue dans le n°5.

Pour ce Métal Hurlant numéro 11, vous signez l'histoire La Machine à rêver, en auteur solo, et la couverture. Une couverture totalement différente de l'histoire que vous réalisez. Comment est venue l'idée de cette couverture ?

Il me semble si je me souviens bien que le story-board de l'histoire était déjà validé par Jerry, pour la couverture c'est arrivé assez vite, Jerry et son équipe m'ont soumis le thème avec des instructions particulière enfin une direction plutôt, l'idée d'un hall d'aéroport avec une vue vers l'exterieure qui s'ouvre sur un autre monde, une certaine idée du voyage vers une destination lointaine, des vacances vers un ailleurs, vers l'infini et l'au-delà en quelque sorte, j'ai proposé quelques idées puis ensuite je me suis dit qu'il serait peut-être amusant si il y avait un lien indirect avec La Machine à rêver, mon histoire de robot, j'ai donc re-proposé une idée mais cette fois avec des robots, une image qui pouvait être le futur de l'histoire des personnages que j'ai commencé a mettre en place dans La Machine à rêver par exemple.

Dans La Machine à rêver, peut-on encore parler de bulle, ou plutôt de cartouche ? Car finalement, ce sont des phylactères sans appendice. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Je profite du magazine pour expérimenter une méthode de narration, une forme d'improvisation en quelque sorte. J'ai une méthode particulière sur cette histoire ainsi que sur La Faille. J'ai l'histoire en tête , enfin quand je dis l'histoire, c'est plutôt une intention, voire juste une séquence que je dessine rapidement, j'ai un nombre de pages plus ou moins aléatoires qui dépend de ma séquence, mais je n'ai aucun texte, je laisse mûrir et un jour j'entends ou je lis une phrase qui fait écho à ma séquence et là je commence à planter un texte. L'histoire, au final, peut se lire sur deux niveaux : le premier est visuel, on comprend un sens de l'histoire sans les textes, et le deuxième, en lisant les textes, on a une autre vision de celle-ci. Je me dis que tant que ce n'est pas imprimé, l'histoire peut encore changer, évoluer. J'ai testé cette méthode sur ma première histoire, La Faille, quand j'ai soumis mon story-board à Jerry lors de notre première visio. Le personnage était un humain et c'était une histoire muette qui pouvait laisser libre cours à l'interprétation de chacun, l'histoire d'un homme qui découvre un monde caché/­protégé. Le personnage se laissera envahir par ses émotions et retournera à l'état sauvage, vivons heureux, vivons caché en gros. Au cours de la réalisation, l'histoire a changé de point de vue, si le personnage humain était en fait un robot et que celui au contact de cette nature cachée éveille sa conscience, sa nature cachée ? La question m'a plu et j'ai revu ma copie pour appuyer l'idée de conscience qui s'éveille : le robot se questionne, s'interroge sur sa place dans ce monde nouveau, et donc l'idée des cartouches est venue automatiquement.

Pour une histoire courte, comme La Machine à rêver, shunte-t-on des étapes dans la réalisation ou conserve-t-on le synopsis, le scénario, le storyboard, le crayonné, l'encrage ?

Comme je l'ai dit avant, je commence toujours pareil, c'est un storyboard où j'écris l'histoire en même temps, il y a un premier jet, puis ensuite je peaufine le rythme. Si j'ai une contrainte de page, je m'adapte, mais la méthode est la même. Ensuite vient un crayonné plus poussé, puis l'encrage et la couleur.

Qui dit histoire sur les robots, dit futur. Peut-on encore aborder la SF en travaillant en analogique, ou le numérique s'impose-t-il ?

Utiliser le numérique pour servir une idée et renforcer un concept, oui, si on est dans une démarche totalement artistique et sans concession. Dans mes deux histoires, j'ai utilisé les deux méthodes. Pour La Faille, j'ai tout dessiné en traditionnelle, à l'aquarelle, d'abord par envie, et puis je savais que le résultat de la séquence de la découverte d'un monde verdoyant serait plus chaleureux à l'image et collerait avec le concept. Quand j'ai commencé à réfléchir à la suite, je n'ai pas franchement réfléchi à la technique que j'allais utiliser sur le moment. C'est venu ensuite, mais avant, je travaille toujours de la même façon et quel que soit le sujet/­thème/­genre : crayon, papier, encrage plume, pinceau et encre de Chine. C'est à l'étape de la couleur que je varie entre le numérique ou le traditionnel, mais souvent, je travaille en numérique pour la couleur, pour une question de rapidité de travail. Mais là, sur la deuxième histoire, ça s'est imposé tout seul, si je puis dire. Celle-ci démarre par un gros plan de l'œil du robot et donc, l'histoire qui va suivre sera automatiquement sous son prisme, donc la vision du robot. On peut donc penser que celle-ci est numérique, moi je le sais, mais je pense que le lecteur s'en fiche royalement. Si je vais au bout de cette histoire et qu'un jour il y a un album à la clé, ce sera sans doute plus flagrant si les pages de La Faille et La Machine à rêver se suivent. Certains se poseront peut-être même la question du pourquoi.

Est-on tenté, quand on parle robotique, futur, distopie, etc., de franchir le pas et d'utiliser l'intelligence artificielle pour une part du travail sur l'histoire ?

Haha ! Non, je n'y ai pas pensé pour le coup, mais je vais y penser pour la suite parce que ça pourrait s'y prêter, enfin je verrai  !

Combien de temps vous a demandé, au total, La Machine à rêver ?

Comme je fais plusieurs choses en même temps, je ne sais pas, mais à partir du moment où le story-board de l'histoire est posé pour 9 pages, je dirais un mois si j'étais à temps plein dessus. En gros, je n'ai jamais calculé mon temps, c'est d'abord l'envie de m'y mettre qui compte, ensuite, je ne vois pas le temps passer !

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Heu ! Je dirais… Ce que j'ai raconté au début de l'interview sur la façon dont j'ai proposé l'histoire à Jerry, alors même que je ne savais pas ce qu'il allait me proposer pour Métal, j'étais dans une phase de ras-le-bol, de fatigue, de doute, de questionnement et blablabla, etc. Et donc, suite à ce premier contact, ça a été comme un boost. J'ai commencé à jeter sur le papier une histoire, cette histoire qui allait devenir l'histoire d'un robot qui s'humanise au contact d'une nature cachée. Et ma femme qui me voit de nouveau repartir dans une effervescence rentre dans mon bureau et me demande ce que je dessine, pourquoi et pour qui je fais ça. Je lui ai répondu à ce moment-là : « Je ne sais pas ». Et encore aujourd'hui, je ne sais pas où je vais avec cette histoire, mais ce que je sais, c'est que je suis sur la suite et que Jerry m'encourage à continuer.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Comme je viens de le dire, la suite de La Machine à rêver qui aura pour titre cette fois La Machine qui rêve, 9 pages. Je viens de finir mon prochain album Le Balayeur des lilas, un leporello qui paraîtra chez Noctambule/ Oxymore en octobre, et en ce moment deux Westerns, un Aire libre avec Nicolas Pothier au scénario et un autre en solo qui sera dans le même esprit que Dernier souffle, mon précédent album chez Noctambule, un dyptique qui aura pour titre La Dernière Frontière, toujours chez Noctambule.

Le 1er juin 2024