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Interview de Thomas Hayman , à propos d'Idéal

Couverture de la BD Idéal

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Idéal, parue aux éditions Sarbacane, en lisant l'interview de son dessinateur, Thomas Hayman.

Comment êtes-vous devenu dessinateur ?

Je dessine depuis tout petit. J'ai commencé à m'éduquer à l'histoire de l'art et à apprendre à dessiner de façon rigoureuse quand j'ai commencé mon cursus artistique au lycée. De là, j'ai enchainé des études de graphisme à Paris puis d'illustration à Londres où j'ai commencé à faire des BD parfois drôles façon Pierre la Police parfois très sérieuses sur les histoires de guerre de mes grands-parents. En sortant d'école je suis devenu Motion Designer pendant 5 ans tout en continuant ma pratique du dessin. Je suis maintenant illustrateur depuis 8 ans.

Comment avez-vous rencontré Baptiste Chaubard, le scénariste, et comment avez-vous travaillé avec lui ?

Baptiste m'avait contacté il y a cinq ans pour que j'illustre des nouvelles qu'il était en train d'écrire. Je ne le connaissais pas, mais nous nous sommes entendus assez facilement. Les illustrations finies, nous ne nous sommes pas reparlé pendant un an, puis j'ai eu envie de faire une bande dessinée, mais je ne me sentais pas de commencer sans scénariste pour la première, j'ai donc pensé à lui, je trouvais qu'il écrivait bien. Je lui ai demandé s'il avait des idées de scénario de BD dans ses tiroirs et celle d'Idéal m'a plu de par ses thématiques. Au début, c'était un synopsis presque érotique, mais l'on s'est très vite éloigné de cette direction-là pour aller vers un récit plus sensible. Nous avons travaillé ensemble sur l‘écriture du scénario, l'histoire a pris forme au fur et à mesure de nos échanges. Rien n'était défini et fixe, ce qui a pu compliquer les choses par moment, mais a permis aussi de trouver des idées que l'on n'aurait potentiellement pas eues autrement.

Comment avez-vous travaillé le graphisme d'Idéal ?

J'ai utilisé Photoshop principalement.

Les formes du dessin d'Idéal sont très particulières et contribuent à ce côté fascinant et envoûtant de l'album. On y retrouve les références japonaises et certains codes graphiques, mais cela ne suffit pas à créer cet univers. Qu'est-ce qui donne ce rendu si particulier, si délicat et si violent, si chaud et si froid ?

Je pense que cela tient aux couleurs choisies, pastels, à peine passées mais jamais primaires, à l'alliance de couleurs chaudes et froides dans une même composition. Je passe beaucoup de temps à choisir un nuancier restreint qui me permet d'avoir une unité/­harmonie commune sur l'ensemble de la BD, mais qui me permet aussi de varier les ambiances (jour/­nuit/­couché de soleil/­ciel voilé) avec ces mêmes couleurs. J'essaye de faire en sorte que chaque couleur puisse être alliée à n'importe quelle autre couleur à côté de celle-ci. Je pense que l'usage d'un trait précis allié à un cadrage très composé, souvent symétrique, participe à créer des cases harmonieuses, mais qui peuvent dégager une certaine froideur aussi.

Idéal privilégie les très grandes cases. Qui a décidé de cela, et est-ce que la taille des cases a un effet sur le rythme du récit ?

Oui, j'ai décidé dès le début du projet que pour ce récit il fallait laisser de la place à l'image, et que d'avoir un gaufrier trop dense ou trop compliqué enlèverait un certain rythme au récit. Je voulais ralentir la lecture sur les cases en leur donnant de la place, du détail, que le lecteur puisse s'attarder sur chaque case, que la case, même la plus petite, ne soit pas là qu'à titre informationnel, qu'elle permette au lecteur de prendre le temps de lire l'histoire autant par le texte que par l'image et ce qu'elle raconte.

Page 110 à 116 Baptiste Chaubard résume tout le danger de l'IA, que vous mettez en scène sans équivoque possible. Y a-t-il une volonté de votre part à tous les deux de dénoncer ou du moins d'avertir sur les dangers de l'IA ?

Pas vraiment, nous nous servons de la thématique de l'IA et de la science-fiction en général et de ces possibilités pour parler de rapports humains, d'amour, de vieillissement, de conservatisme. Il n'y a donc pas de volonté de dénoncer les dangers de l'IA (bien que cela soit un sujet inquiétant), la science-fiction et l'IA sont un prétexte pour parler de sujets humains, aussi bien actuels qu'intemporels.

Vous utilisez pourtant le numérique dans votre travail, et le numérique est une forme d'intelligence artificielle. Quand on demande à Photoshop par exemple de sélectionner une couleur, il agit comme une IA, et celle-ci est de plus en plus utilisée dans le graphisme. Si l'on suit le récit anticipatif écrit par Baptiste Chaubard, cette IA va remplacer les pianistes et donc les artistes, y compris les dessinateurs et les scénaristes. Comment envisagez-vous l'avenir de votre métier pour les vingt prochaines années ?

Je sors de mon domaine de compétences en répondant à cette question. Ce sujet est assez difficile, car très compliqué, en ce sens qu'une IA permet à la fois de réfléchir plus vite si l'on s'en sert comme un outil et non comme une fin en soi. Je ne suis pas contre l'utilisation d'IA pour gagner du temps, chercher des références rapides, etc. Cela permet des choses qui auraient pris plus de temps qu'auparavant. Je ne pense pas que l'IA remplacera les illustrateurs. Une IA se sert de points de référence créés par l‘humain pour fonctionner, en ce sens elle ne pourra jamais être totalement novatrice artistiquement, on en voit déjà les limites. Mais elle permet de faciliter le travail des illustrateurs selon des critères donnés. C'est à la fois fascinant, car cela ouvre de nouvelles pistes de réflexion, car l'IA agit comme un cerveau humain qui engrangera des références pour créer des formes nouvelles. Mais je doute qu'elle puisse se réinventer à l'infini.En ce qui concerne l'écriture, je doute de la capacité de l'IA à pouvoir retranscrire des émotions humaines, d'en comprendre les enjeux.Aussi, j'ai l'impression qu'à chaque révolution technologique, le même débat a lieu sur leur dangerosité. Les techniques évoluent, mais il faudra toujours une personne derrière la machine avec une sensibilité humaine pour en tirer le meilleur. Peut-être que dans 100 ans nous serons tous des prompteurs, qui sait ?

Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?

Le dessin de l'album m'a pris 1 an et demi.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Pas vraiment non… Je m' excuse !

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

J'ai plusieurs projets de BD en cours d'écriture avec Baptiste, mais aussi avec ma compagne. Je préfère ne pas trop en parler pour l'instant !

Le 20 septembre 2024