La Mouette hurlante Le webzine spécialisé dans les interviews d'auteurs de BD et de romans graphiques

Interview deVal Reiyel, à propos de Victor de Notre-Dame

Couverture de la BD Victor de Notre-Dame

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Victor de notre-Dame, parue aux éditions Guy Trédaniel, en lisant l'interview de sa scénariste, Val Reiyel.

Vous avez été comédienne, scénariste pour l'audiovisuel et êtes romancière, notamment pour la jeunesse. Avec Victor de Notre-Dame, vous franchissez le pas de la scénarisation pour le neuvième art. Quelles ont été vos motivations tout au long de votre parcours artistique et pourquoi avoir décidé de scénariser votre roman jeunesse Victor de Notre-Dame ?

Je vais vous expliquer comment l’aventure de Victor s’est passée depuis le début, car c’est un peu complexe ! D’abord, il y a quatre ans, j’ai écrit un texte intitulé Le Pigeon de Notre-Dame sur environ 9000 signes, pour faire un album illustré pour les jeunes enfants. Je l’ai envoyé à des éditeurs… Qui l’ont tous refusé. Et aujourd’hui, je les remercie ! Car suite à ces rejets, j’ai commencé à écrire une histoire sur la même idée (un pigeonneau qui fuit l’incendie de Notre-Dame pour survivre et doit retrouver un autre clan), mais beaucoup plus développée : un synopsis sur une trentaine de pages, destiné aux producteurs de films d’animation. L’histoire a intrigué quelques personnes, mais pas assez pour qu’elles s’engagent sur un développement de scénario. Alors j’ai écrit un roman court… Puis un roman deux fois plus gros… Et un scénario de long métrage d’animation… Sur quatre versions. Tout cela sur plusieurs années, bien sûr ! Et Le Pigeon de Notre-Dame du début est devenu le Victor de Notre-Dame de maintenant. Bref, un jour, le scénario de film d’animation est arrivé par un ami auteur aux éditions Tredaniel, qui étaient en train de créer une section BD. Marie Pichon, la responsable éditoriale, a beaucoup aimé ce scénario et m’a proposé d’en faire une BD. J’étais ravie, mais je ne voulais pas sacrifier mon roman… Alors Marie Pichon, qui a véritablement été une fée pour Victor, a convaincu Tredaniel de prendre à la fois le roman et la BD et de les sortir le même jour. C’était miraculeux !

Sur votre site internet, vous parlez de votre projet de cinéma autour de votre premier roman jeunesse Irineï et le grand esprit du mammouth en ces termes : « Cette adaptation est un travail très difficile, car il faut faire rentrer deux tomes de roman (2 × 300 pages) dans 120 pages de scénario. » La même problématique s'est posée pour Victor de Notre-Dame, même si le roman fait 269 pages et la BD 130 pages. Peut-on comparer les deux projets d'adaptation scénaristique et quelles différences avez-vous pu remarquer entre le scénario cinéma et le scénario BD ?

Avec Irineï, j’ai d’abord écrit un synopsis sur trente pages pour un film live, dont aucun producteur n’a voulu. Dix-sept ans plus tard, j’ai repris ce traitement, j’en ai fait un roman en deux tomes publié chez Slalom et un scénario de film. Dès que j’aurai le temps, je vais retravailler le scénario de film « live » pour en faire un scénario d’animation. Et j’espère aussi en faire une BD, car beaucoup de jeunes lecteurs du roman me la réclament. Donc, avec Victor, j’ai refait comme avec Irineï : écrire la même histoire sous plusieurs formes. C’est un exercice très intéressant, car ce sont des techniques très différentes. Disons que l’histoire de base, la plus détaillée, c’est le roman. Le scénario de film est une réduction du roman. Et le scénario de BD est une réduction du scénario de film… une sorte de colonne vertébrale de l’histoire ! Quelquefois, c’est très difficile, car il faut faire des choix douloureux, couper des choses qu’on aime pour arriver à tout faire rentrer…

La genèse de Victor de Notre-Dame prend sa source lors du Covid. Pouvez-vous revenir sur ce qui a déclenché cette envie de créer un roman ?

J’ai toujours eu une connexion très forte avec les animaux, et pourtant, pendant des années, comme beaucoup de gens, je n’ai pas fait très attention aux pigeons. Pendant le premier confinement, des milliers d’oiseaux et autres animaux des villes sont morts de faim, car il n’y avait plus d’humains dans les rues pour laisser de la nourriture. Des oiseaux de toutes sortes ont commencé à arriver sur mon petit balcon parisien pour dévorer mes plantes. Je les ai laissé faire (les pauvres !) et je les ai observés. C’est là que je me suis vraiment intéressée aux pigeons, car ce sont les moins farouches : ils s’approchent beaucoup plus que les moineaux, mésanges, corneilles et autres espèces. J’ai découvert que ces pigeons sont très intelligents, attachants et drôles, qu’ils ont vraiment des personnalités bien marquées et des comportements très divers, à la fois en couple, en groupe ou en individuel… de vrais personnages ! Mon sang d’auteure n’a fait qu’un tour : il fallait écrire une histoire dont les héros seraient une bande de pigeons. Restait à trouver laquelle…

Victor de Notre-Dame parle de pigeons et sensibilise donc à la cause animale, mais l'histoire est aussi le miroir de la société humaine. Y a-t-il eu une volonté dès le début d'utiliser la personnification pour parler du racisme, de l'intégration, de la migration, de l'hypocrisie, des soit-disants amis qui sont les ennemis, des soit-disants ennemis qui apportent de l'aide ?

Ce que j’aime dans la littérature jeunesse, c’est écrire à un double niveau : une grande aventure qui embarque les enfants, et un fond qui parle aux parents. Et ce n’est pas si facile… Mais c’est ce qui fait que les romans jeunesse sont souvent lus par un vaste public sur plusieurs générations, et c’est super ! Avec l’histoire d’un pigeonneau sans défense qui perd tout dans un incendie et doit partir seul pour survivre, il y avait tout de suite une métaphore évidente : celle d’un enfant réfugié (l’incendie de Notre-Dame ressemblant à une scène de guerre) séparé de sa famille et de ses amis, dont la maison a été détruite. Va-t-il être capable d’affronter un monde hostile et comment sera-t-il accepté dans une autre société ? Pourra-t-il se reconstruire ailleurs ?

Votre récit peut être lu en miroir à la société humaine, mais pointe aussi, sans ménagement, les travers de l'humain : l'utilisation des animaux, puis la « rétrogradation » jusqu'au rang de nuisible, par exemple. Où encore la question de l'argent pour construire des refuges… Comment mêle-t-on ces deux niveaux de lecture, sans pour autant faire la morale et conserver l'intérêt permanent sur l'histoire ?

Quand j’ai commencé à m’intéresser aux pigeons, j’ai découvert leurs terribles souffrances. Grande amie des animaux, je m’en suis voulue de n’avoir pas eu conscience de tous ces problèmes avant et je me suis dit que je devais écrire une histoire qui aiderait ces pauvres oiseaux. Dans la préface du roman, Allain Bougrain- Dubourg explique tout : Apprivoisés depuis l’Antiquité pour transporter les messages, les pigeons ont toujours été au service des humains. À l’arrivée des moyens de communication modernes, ils ont purement et simplement été rejetés. Ce sont des animaux domestiques abandonnés (d’ailleurs, ils n’ont pas le statut d’animal sauvage), qui sont passés du statut de héros de guerre à celui de nuisible : réfugiés en ville pour se rapprocher des humains, qui, dans leurs gènes, sont associés à des protecteurs, ils sont maintenant ignorés, voire maltraités. Il est interdit de les nourrir sous peine d’amende. Les entreprises de dépigeonnisation les massacrent de façon abominable, en les capturant dans des cages et en les gazant. Sans parler des pelotes de cheveux et des fils de couture qui trainent sur les trottoirs et mutilent leurs pattes. J’attrape autant de pigeons que possible dans les rues parisiennes et je leur enlève ces saletés. Ma copine Nathalie, grande protectrice des pigeons, m’a appris à le faire (c’est ma prof de pigeon !) Quand ils sont trop blessés et doivent être anesthésiés, je les emmène dans une association qui les soigne et les relâche. Donc il n’y a pas de moralisation à faire, on raconte juste des faits historiques et actuels. Et on se projette au ras du trottoir, dans la peau d’un jeune pigeon qui doit survivre en ville en affrontant des souffrances quotidiennes, la faim et la terreur. Bien sûr, il faut éclairer ce côté dramatique avec de l’aventure, de l’humour, de l’amour et de la poésie… Pour que ça reste une belle histoire qui fait rêver.

Le dessin de l'album est signé par Julia Robin et Charles Ferry, deux artistes engagés pour la cause animale. Charles Ferry a d'ailleurs co-fondé le collectif citoyen Respectons les pigeons de Paris. Est-ce un hasard que vous ayez fait appel à eux, ou vous êtes-vous rencontré dans ce collectif quand vous enquétiez sur les pigeons ?

Un jour, au tout début du projet BD, j’ai emmené un pigeon blessé à l’association dont je parlais au-dessus. Là, j’ai rencontré par hasard une dame qui faisait partie du collectif Respectons les pigeons de Paris, que je ne connaissais pas. En discutant, elle m’a appris qu’un dessinateur, Charles Ferry, faisait partie de ce collectif. J’ai fait des recherches par internet sur ce monsieur et j’ai découvert qu’il était designer d’animation… surdoué ! Je lui ai envoyé le scénario d’animation de Victor en lui disant que je cherchais un dessinateur pour la BD. Il a lu le scénario et on s’est rencontrés. Il s’est tout de suite montré intéressé… C’était encore une fois totalement miraculeux ! Il a amené sa compagne Julia Robin (qui travaille aussi en animation) sur le projet. Il est spécialiste des décors et elle des personnages. Ils ont tous deux un talent dingue et forment un duo extraordinaire. Ils ont travaillé comme des fous pendant un an et leurs illustrations de la BD, dont une vingtaine ont été intégrées au roman, sont magnifiques. C’était une rencontre totalement improbable… je crois que plusieurs fées se sont penchées sur le nid de Victor !

La BD Victor de Notre-Dame est une adaptation du roman éponyme. Comment avez-vous travaillé le schéma narratif du roman ? Y retrouve-t-on le Voyage du héros de Campbell, ou encore le schéma quinaire de Larivaille. Les utilisez-vous pour créer votre narration ?

En tant que scénariste, on connaît les codes du Voyage du héros de Campbell, qui sont utilisés dans beaucoup de films d’animation (et pas seulement d’animation). C’est une structure qui rend les histoires universelles : à travers des archétypes de personnages, c’est un voyage initiatique qui parle de la vie, des épreuves, des contraintes, des alliés et des ennemis, du passage à l’âge adulte, de l’évolution de la personnalité, des enjeux, des obstacles à vaincre qui rendent plus fort. Même si on ne suit pas tous ces codes, on les a forcément en tête et ils ressortent de manière plus ou moins consciente, plus ou moins déguisée. Ces histoires sont donc comprises dans toutes les cultures et par toutes les générations. Alors oui, celle de Victor contient beaucoup de ces éléments… Pour certains, je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, ils sont devenus évidents après l’écriture !

Victor de Notre-Dame bénéficie d'une mise en page particulière, sans aucune marge. Les dessinateurs ont également fait le choix d'un dessin tout numérique utilisant le flou de premier plan afin d'aider à détacher l'élément sur lequel le focus est fait en arrière-plan. Une technique très proche de ce qui se fait en animation. Une adaptation en dessin animé de Victor de Notre-Dame est-elle prévue ?

J’y travaille, j’y travaille, et mon agent de scénariste aussi… Il y a des pistes, mais je ne peux vraiment rien en dire maintenant. Tout ce que je peux faire, c’est croiser les pattes et les plumes pour que le projet de film d’animation aboutisse : c’est mon rêve et mon but depuis le début de l’aventure Victor !

Le lecteur peut retrouver dans cette bande dessinée tout ce qui a fait le succès des grands Walt Disney comme Les 101 Dalmatiens, Rox et Rouky… Cette impression est-elle due aux personnages ? On retrouve par exemple souvent chez Disney un bourru au grand cœur comme Unepatte dans votre récit.

C’est drôle, je n’ai pas les mêmes références que vous ! Je vais plutôt chercher dans le vieux cinéma français… Pour moi, Unepatte est le Jean Gabin des pigeons, un vieux titi parigot qui parle un peu comme dans les films d’Audiard. Parfois, il a même un côté Lino Ventura pas commode, le genre de type qu’il ne faut pas trop chatouiller, mais qui fera n’importe quoi pour vous aider si vous êtes son pote. Mais vos allusions à Disney parleront sans doute davantage aux jeunes lecteurs de BD !

Combien de temps vous a demandé l'écriture du roman et son adaptation en scénario et combien de temps a demandé la BD au total ?

Impossible de répondre précisément à ça, puisque depuis la première écriture de l’album il y a quatre ans, le roman, le scénario et la BD ont été écrits en parallèle et se sont parfois croisés et recroisés… Je ne suis pas très linéaire, je travaille sur tout en même temps. C’est très intense…

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Toute ressemblance avec des personnages réels n’est absolument pas fortuite… Unepatte existe vraiment, c’est un vieux briscard unijambiste qui a survécu aux pires souffrances, et il roucoule très fort sur les jeunots pour leur apprendre la vie et le respect ! Gonflé, intrépide et aventurier, m’a inspiré Victor. Et Rouquine est devenue la jolie Rousse… Ces trois-là n’auront jamais la moindre idée de ce qu’ils ont fait naître dans mon cerveau et je leur suis reconnaissante à vie (le roman leur est d’ailleurs dédié dans la page d’intro). J’espère que grâce à eux, le regard des enfants (et de leurs parents) changera sur ces pauvres pigeons souvent mal-aimés. Que les gens apprendront à les connaître et qu’ils éprouveront pour eux un peu plus d’empathie…

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Le roman et la BD sont sortis il y a à peine une semaine. Dans les mois qui viennent, je vais me consacrer entièrement à Victor : salons du livre et rencontres dans les écoles, partout en France et même à l’étranger si possible… Je souhaite le faire connaître à un maximum d’enfants, c’est vraiment mon gros gros gros projet de cœur. En parallèle, retravailler le scénario d’animation d’Irineï (qui parle beaucoup de la protection des animaux et de la nature) et peut-être écrire aussi le scénario BD. Et puis je ne suis pas inquiète, il y a sans doute d’autres histoires qui vont pousser dans ma petite tête… Un grand merci à vous, car c’est ma première interview sur Victor !!! Une mouette et un pigeon étaient faits pour se rencontrer…

Pour contacter ou rejoindre le collectif Respectons les pigeons de Paris, n'hésitez pas à consulter leur page Facebook, un mail et un numéro de téléphone y sont accessibles même sans compte Facebook.

Le 15 novembre 2024