Interview de Valeria Guffanti, à propos des Moments doux

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Les Moments doux, parue aux éditions La Boîte à bulles, en lisant l'interview de sa dessinatrice, Valeria Guffanti.
Comme beaucoup de dessinateurs de la nouvelle génération, vous venez de la Scuola del Fumetto de Milan. Qu'est-ce qui explique, d'après vous, le succès des dessinateurs italiens dans la bande dessinée européenne actuellement ?
L'Italie, au-delà des stéréotypes, est un pays avec une grande tradition artistique, et en particulier avec une importante tradition de maîtres de la BD, et il me semble donc merveilleux que de nombreux jeunes soient amenés à embrasser cette profession. Cependant, pour une raison ou une autre, le business reste ici relativement plus petit qu'ailleurs, et beaucoup d'artistes de la nouvelle génération cherchent à s'installer dans un autre pays, notamment en France, où tous les genres sont bien représentés et où le public de fans est beaucoup plus large.
En 2021, vous signez le dessin d'Azizam, sur un scénario de Gelsomino, pour la Boîte à Bulles. Dans Les Moments doux, bien que l'univers soit différent, on retrouve votre patte si reconnaissable et votre sens de la colorisation, ce qui signifie que l'on peut vous identifier en tant que dessinateur après seulement un, voire deux albums, ce qui est très rare. À quoi cela est-il dû ?
Cette question est très flatteuse et me rend très heureuse ! Je crois que chaque artiste met sa personnalité dans ses œuvres, tout simplement parce que l'art figuratif est sa forme d'expression naturelle. Mon style a une matrice humoristique, mais qui s'approche du grotesque pour faire ressortir les émotions des personnages. Cela est dû à mon goût, mais aussi à ma formation, aux références que je trouve chez les maîtres que j'aime (Morris, Uderzo, Franquin, les artistes de Disney).
Comment travaillez-vous le dessin et la couleur ?
J'aime les techniques traditionnelles et le travail sur papier. Je trace les planches avec la plume et de l'encre de Chine. Je réalise la couleur avec l'aquarelle, une technique que j'aime pour sa spontanéité et un certain côté imprévisible dû au rôle de l'eau. La mise en couleur des Moments Doux est mixte, j'ai créé des atmosphères et des textures avec les aquarelles et j'ai complété la couleur numériquement.
Les Moments doux entrelace deux histoires, en alternant ces dernières chapitre par chapitre. Avez-vous dessiné l'album dans le sens de la lecture, ou avez-vous fait tout Lili, puis tout Élise ?
Au début, Vincent a conçu le plan de l'ensemble du livre, mais après les premiers chapitres, il a d'abord écrit toute l'histoire d'Élise, puis celle de Lili, c'est donc dans cet ordre que nous avons réalisé les planches. Les pages de l'épilogue sont en fait les dernières que j'ai dessinées.
Vous mettez des angles arrondis à toutes les cases du passé dans le livre, afin de différencier les flashbacks des moments présents dans chaque histoire. C'est un procédé très discret, n'avez-vous pas la crainte qu'il ne soit trop discret et que les lecteurs ne le voient pas ?
L'idée des angles arrondis a été proposée par le graphiste de la Boîte à Bulles lors d'un test de mise en page que nous avons effectué sur les vingt premières planches. Nous l'avons approuvée comme méthode pour indiquer les scènes de flashback. C'est assez discret, c'est vrai, mais je pense que le schéma narratif est écrit de telle manière que le lecteur est accompagné tout au long du récit, et que l'alternance chronologique donne un rythme agréable à l'histoire.
Vous utilisez une colorisation monochrome, pour les souvenirs plus anciens. On voit que vous avez fait une réelle recherche au niveau des couleurs pour faciliter la lecture de chaque case, jouant sur l'harmonie, mais aussi les contrastes. Tout en conservant une palette très douce. Comment avez-vous conçu cette palette ?
Le monochrome dans le flashback avec l'histoire de la mère de Lili était une indication de Vincent, qui m'a demandé de colorer la séquence « avec des couleurs de vieux films ». C'est un expédient que j'aime beaucoup. Au lieu d'un vrai noir et blanc, j'ai opté pour une teinte bleutée, afin de rendre plus intense sur le plan sentimental la narration d'une des scènes les plus dures de l'histoire. J'aime beaucoup le rôle émotionnel des couleurs, elles peuvent ajouter une clé narrative à l'histoire. Cette prédilection est due à ce que mes enseignants m'ont transmis et elle correspond à ma sensibilité. Je pense que l'intention émotionnelle plutôt que descriptive des couleurs dans Les Moments doux est évidente, j'ai essayé de mettre dans les dessins les sentiments que j'ai eus en tant que lectrice du roman. Virginie Grimaldi est une autrice qui aborde même des thèmes difficiles avec une sensibilité unique et une note d'ironie, que j'ai essayé de retracer avec des arrangements de couleurs lumineuses qui traduisent la légèreté, l'équilibre, la simplicité.
Comment avez-vous rencontré Vincent Henry, le scénariste ?
C'est la scénariste avec qui j'ai travaillé sur Azizam, qui a rencontré Vincent en premier au festival d'Angoulême, en 2019. Après ce premier livre avec la Boîte à Bulles, Vincent m'a proposé de travailler avec lui sur l'adaptation en BD de Et que ne durent que les moments doux.
Quel type de scénario a écrit Vincent Henry ? Un scénario vous laissant beaucoup de latitudes ou un scénario très cadré avec les dialogues ?
Avec Vincent, j'ai très bien travaillé, son scénario est ponctuel et concis. Il me donnait toutes les indications pour que je puisse visualiser sans effort la scène telle qu'il l'imaginait, tout en me laissant de la place pour des solutions formelles. Lors de la phase du storyboard, nous examinions ensemble si tout fonctionnait.
Vincent Henry expliquait dans une interview accordée à La Boîte à Bulles : « Le seul élément visuel inspiré de mon univers, c'est une vignette sur laquelle figure notre chien, Shadow, dans sa cage à la SPA… », comment avez-vous conçu cette partie ensemble ?
Dans le roman, il y avait déjà l'épisode où Élise se rend au chenil pour offrir en cadeau un chien à son fils pour son anniversaire. Vincent m'a simplement demandé de représenter son chien Shadow dans une des cages du chenil, c'est une sorte d'Easter Egg. Ce qui est formidable avec les romans de Virginie, c'est que l'on se retrouve très facilement dans les épisodes et les émotions des personnages.
Combien de temps vous a demandé la réalisation des Moments doux, on devine qu'il y a eu beaucoup d'heures de travail derrière cet album.
Oui, en effet. Depuis que le projet a été approuvé, nous avons travaillé sur Les Moments Doux presque deux ans.
Avez-vous une anecdote sur la réalisation de cet album ?
Je ne sais pas si j'ai de vraies anecdotes à raconter, mais il y a plein de pages dans ce livre qui me tiennent à cœur. Élise elle-même, par exemple, est en quelque sorte inspirée par ma mère. Les pages où Élise prépare un poulet mariné pour sa fille font partie de mes préférées (j'adore dessiner les plats). Vincent m'avait donné le lien d'une page de recette comme photo de référence, alors j'ai demandé à ma sœur de me cuisiner le même plat, parce qu'il avait l'air vraiment délicieux. J'aime aussi la scène de l'anniversaire d'Élise, car tandis que je travaillais sur ces pages, c'était en fait l'anniversaire de ma mère. Et aussi la page du restaurant japonais, où j'ai représenté mes amis qui m'ont beaucoup soutenue pendant que je travaillais sur ce livre.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
J'ai actuellement plusieurs projets en cours, à la fois des BD et des livres illustrés. J'ai aussi beaucoup de projets personnels encore à la recherche d'un éditeur, j'espère qu'ils verront le jour bientôt !
Le 15 décembre 2023