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Interview de Vincent Pompetti, à propos de Sir Arthur Benton, cycle 2

Couverture de la BD Sir Arthur Benton, cycle 2

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Sir Arthur Benton, cycle 2, parue aux éditions Nouveau Monde, en lisant l'interview de son dessinateur, Vincent Pompetti.

Comment êtes-vous devenu dessinateur ?

J'ai envie de répondre « depuis toujours », comme pour beaucoup, c'est une vocation qui s'est développée depuis l'enfance, et ensuite j'ai intégré une école des beaux-arts pour un cycle supérieur, j'en suis sorti en 1998, et j'ai publié ma première bande dessinée en 2001/­2002.

Comment avez-vous rencontré Tarek Ben Yakhlef, le scénariste, et comment avez-vous travaillé avec lui ?

Je pense que c'était au salon de la bande dessinée à Paris en 2003, un salon calqué sur celui de la littérature et qui n'existe plus. Il m'a dit qu'il avait plusieurs scénarios en cours et m'a demandé de choisir si certains m'intéressaient. J'avais des projets personnels que je voulais faire (ce qui s'est passé par la suite), mais je cherchais des collaborations, et avec Tarek, nous nous sommes rapidement entendus sur la façon de travailler et qu'il était sérieux sur le long terme…

Vous signez le dessin et la couleur du cycle 2, soit les trois derniers albums de la série. Stéphane Perger a quant à lui réalisé le premier cycle. Même si vos styles sont différents, on retrouve une cohérence graphique entre le cycle 1 et le cycle 2. Avez-vous été en contact avec Stéphane Perger ou avez-vous reçu des consignes de la part de Tarek Ben Yakhlef ou de l'éditeur de l'époque pour conserver cette cohérence ?

Oui, avec Tarek et Stéphane, nous sommes en bonne relation amicale. J'ai eu une grande liberté malgré le fait de reprendre une série en cours, et ce qui en est ressorti, outre le fait que les personnages principaux devaient rester fidèles, c'était de suivre la logique artistique ; Stéphane avait construit l'univers graphique des années 20 et 30 sur l'expressionisme allemand, tandis que pour les années fin 40 début 50, j'ai voulu retranscrire l'atmosphère des premiers films couleurs d'Hitchcock, les films « noirs » et la période technicolor, si on peut dire. Ce qui donne une empreinte adéquate pour chaque époque.

Les six tomes de Sir Arthur Benton sont réalisés en couleur directe. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette technique dont on parle souvent, mais qui reste assez floue pour les non-initiés ?

Couleur directe signifie que la couleur est posée directement sur la planche définitive, où se trouvent le crayonné et l'encrage. La planche est entièrement réalisée ; en fait, il n'y a pas de coloriste qui travaille à part ou de travail informatique. Cela permet de développer des techniques de peintures plus poussées avec une grande liberté, de l'aquarelle aux encres, en passant par la gouache ou l'acrylique. Ce procédé ne nécessite qu'un passage de scan, c'est d'ailleurs plus facile aujourd'hui par rapport à l'époque de la photogravure, qui pouvait dénaturer les couleurs, alors qu'un scanner bien réglé est très fidèle.

Y a-t-il plusieurs manières de travailler en couleur directe ? Votre façon de faire diffère-t-elle de celle de Stéphane Perger ?

Oui, il y a autant de manières que l'on peut imaginer, on peut travailler avec la transparence de l'eau, créer des atmosphères pastels ou donner un rendu proche de la peinture classique, avec des couches épaisses. Les encres brillantes comme Ecoline ou Colorex ont été pensées pour l'impression et donnent de beaux contrastes en couleurs vives. Pour mon travail en bande dessinée, je les privilégie en général, mais pour Benton, j'ai adapté mon style en utilisant plus de gouache que d'encres, afin de rendre cette atmosphère particulière de guerre froide, pays de l'est et paranoïa, alors que Stéphane a travaillé uniquement, je pense, avec des encres de façon tranchante, ce qui a donné des atmosphères angoissantes et tendues, avec des formes plus anguleuses. L'usage de la gouache a donné quelque chose de plus feutré, un peu comme un docu-fiction.

Sir Arthur Benton est une BD historique, avec les contraintes du genre. Quelle fut la part de recherches graphiques pour ces trois albums ?

Elle fut très importante. Je dois dire qu'une bonne part de la motivation pour ces trois livres est la plongée dans une époque très importante, la guerre froide, qui nous influence encore aujourd'hui et qui est mal connue. Il fallait être très pointu sur les recherches graphiques, car c'est une époque récente, il existe de nombreux documents photos et films d'époque, et il est vrai que, dans ce cas, internet a bien aidé également, car on y trouvait, en fouillant, des documentaires rares d'époques, des entretiens avec des conseillers de Staline, etc. Lorsque je représente une voiture, un avion ou un char, il faut que le modèle soit de l'année de la représentation, cela demande du temps. Mais ce sont de bons souvenirs. J'ai par exemple retrouvé une marque de bouteille d'eau tchèque, que l'on peut voir lors du Coup de Prague, quelque part sur une table, des slogans authentiques de propagande, ou encore j'ai retrouvé un film yougoslave (avec Richard Burton dans le rôle de Tito), qui m'a servi pour représenter une bataille pour le tome 3, je crois.

Quelle fut la plus grande difficulté sur ce cycle et quelle fut votre plus grande satisfaction ?

Une chose difficile a été de rester dans le juste milieu entre fiction et histoire, sans faire trop de didactisme ou trop de polar, tout en se faisant comprendre. Je pense qu'on a fait appel à l'intelligence du lecteur : certaines cases ou planches résument des faits historiques, il faut compter sur le fait que le lecteur ait quelques références. La plus grande satisfaction ? Ces questions sont toujours difficiles. Le fait d'avoir exhumé et restitué certains faits historiques méconnus mais réels, d'avoir donné un rendu réaliste du monde de l'espionnage, aussi discret que brutal, et de rendre une certaine complexité de notre géopolitique.

Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?

Ça dépend. De mémoire, ce sont des albums d'un peu plus de 50 pages, je dirais moins d'un an environ à l'époque, pour chaque.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Oui ; avec Tarek, on faisait souvent des réunions, des discussions, et pour cela, on allait dans des cafés et on marchait dans la ville où nous habitons tous les deux, à Rennes. Et on aime bien délirer sur certaines personnes marquées par leur attitude ou ce qu'ils dégagent. L'un d'eux, un grand gaillard en gabardine d'une cinquantaine d'années, mal rasé, cheveux clairsemés et lissés en arrière, au regard paillard, on l'a surnommé « l'indic », car il vendait des textes imprimés en battant le pavé au centre-ville, haranguant les gens. On s'est dit qu'il devait être un bon indic pour la police, car il voyait tout et avait l'air d'avoir un passé louche. On ne saura jamais si c'est vrai, mais un jour Tarek m'a dit : « Tu le visualises bien ? Tu arriverais à le dessiner de mémoire ? » Et il est devenu un tueur soviétique dans Le coup de Prague, qui ordonne de défenestrer un politique… Des fois, les personnages secondaires naissent comme ça.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Je termine actuellement Onys – le Sanctuaire entre les mondes, qui est le troisième volume d'un univers de fantasy que j'ai créé il y a dix ans. Le livre fera 112 pages et contient une histoire complète. Je suis aussi impliqué dans des projets de jeux de rôles en tant qu'illustrateur, avec Trégor qui vient de sortir aux éditions Mnémos, et un jeu de cartes, Sorcery qui connaît des extensions et un succès croissant. Je compte également développer des projets d'exposition de peintures et d'illustrations. Pour la bande dessinée, je vais retravailler avec Tarek et on prépare la suite de La guerre des Gaules, à savoir la guerre civile de Jules César.

Le 8 mars 2025