Interview de J. Personne, à propos de Regards

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Regards, parue aux éditions Glénat, en lisant l'interview de son auteur, J. Personne.
Comment est née l'histoire de Regards ?
L'idée de Regards est née bien avant le début de ma carrière de dessinateur ; durant mes études d'orthoptie (kiné des yeux). Il faut savoir que, même si j'ai toujours voulu être dessinateur, j'ai quand même prévu un plan B et je me suis retrouvé à étudier la vue. C'est là que j'ai commencé à imaginer le monde tel que perçu par un non-voyant et l'idée de le transformer en BD a suivi. Le reste était cependant très différent (le protagoniste était une femme déjà non voyante qui se retrouvait à mener une enquête sur quelqu'un qui voulait la tuer). J'ai tenté d'en faire quelque chose puis laissé ce projet de côté un certain temps avant de le ressortir et de le réécrire complètement. Le thème du mérite est arrivé à ce moment-là. Pour ceux qui sont intéressés par le déroulé créatif de cette BD, j'ai fait quelques petits strips sur mon Instagram (@j.personne).
Avez-vous changé votre manière de travailler par rapport à Nuages 1 ?
Globalement, la méthode reste la même, même si la partie graphique m'a demandé beaucoup plus de recherche. J'ai beaucoup réfléchi en amont sur le traitement graphique de la cécité. Je tenais à ce que ce soit visuellement clair, ludique et graphique. Là où le dessin de Nuages était plus linéaire tout le long du récit, je savais que celui de Regards se devait d'évoluer en suivant l'évolution du protagoniste.
Le personnage principal de Regards, Luc, a quasiment les mêmes traits que Léo, le personnage principal de Nuages. Pour quelles raisons ?
C'est un peu un hasard : Nuages a mis longtemps à être signé au point où cela commençait à ressembler à un échec. Je me suis donc mis à travailler sur Regards et j'ai laissé les mêmes traits dont j'étais assez fier au protagoniste (à l'exception d'un grain de beauté qui change de place pour les différencier tout de même). Finalement, Nuages et Regards ont été signés tous les deux par Glénat dans un temps assez court et j'ai réalisé que ces histoires, malgré leurs grandes différences, étaient tout de même liées par quelques thèmes communs (peut-être dû au fait de leur réalisation assez proche ?). J'aime donc bien l'idée de les rapprocher encore un peu plus par un design quasi commun de leurs héros dans une logique proche de celle de la trilogie Cornetto d'Edgar Wright. Là encore, pour les intéressés, j'en ai fait un strip Instagram.
Vous explorez sur une planche le dessin façon manga. Pour quelle raison avez-vous eu envie de faire cette rupture graphique ?
Je vous parlais du lien entre Nuages et Regards, c'en est un. Là où, dans Nuages, le genre du super-héros de comics me paraissait être un très bon reflet de l'idéologie de Léo (plein d'idéal brut non dégrossi), celui du manga shonen était tout indiqué pour Luc qui est dans une quête de réussite et de dépassement perpétuel de ses limites, au mépris de celles de son propre corps. Par ailleurs, c'est toujours stimulant de se tester dans un autre style que le sien.
Le noir est omniprésent et vous avez colorisé chaque planche comme une sorte de négatif photo. Parfois en simple trait, parfois en couleurs complètes. Comment avez-vous décidé de l'esthétique particulière de cet album et est-ce que ce parti pris a dû être adapté pour rester lisible ?
Comme je vous le disais, j'ai beaucoup réfléchi à la manière dont j'allais transmettre la perception du monde de Luc. Je voulais expérimenter tout en étant clair et en restant fidèle à ce que j'avais entendu dans les témoignages recueillis. Pour retransmettre les perpétuelles inconnues auxquelles se heurtent les aveugles, il fallait l'omniprésence d'une teinte et forcément, le noir s'est imposé. J'ai testé d'autres couleurs, mais elle reste celle qui est la plus liée à la cécité dans l'inconscient collectif. Pour la colorisation, comme toujours, j'ai beaucoup fonctionné à l'instinct. Cependant, la vraisemblance visuelle n'étant plus de mise, je me suis lâché. Pour ce qui est de l'adaptation, c'est plus à l'impression qu'ils ont dû faire pas mal de tests pour que ça sorte de la meilleure des façons et je suis très content du résultat.
Vous regrettez, en note de fin d'album, que les non-voyants ne puissent avoir accès aux BD. Aucun logiciel actuellement ne permet une description de chaque case ?
C'est effectivement un regret : je me suis beaucoup entouré de non-voyants pour me documenter sur ce récit et je suis très triste qu'ils ne puissent pas avoir accès au rendu final. J'essaie cependant de faire mon maximum pour adapter ce récit en livre audio (qui est la forme la plus accessible pour eux).
Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?
J'ai eu l'idée en 2010, mais entre le moment où je l'ai ressortie et la fin de sa réalisation, il y a eu environ un an.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Beaucoup de témoignages m'ont énormément touché, mais je préfère les garder privés. Sinon, la première chose que le directeur de l'association Valentin Haüy (pour personnes malvoyantes) m'a dite, c'est « ne soyez pas misérabiliste ». Ça m'a marqué et ça a joué sur la façon dont j'ai écrit Luc.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
J'imagine que ce diptyque né au hasard aura peut-être un troisième volet ?
1 Interview de J. Personne, à propos de Nuages
Le 17 mars 2025