Interview de Léandre Thouin, à propos de La Recette véritable, ou la quête d'un céramiste prodige et de sa fille intrépide

Découvrez les coulisses de la bande dessinée La Recette véritable, ou la quête d'un céramiste prodige et de sa fille intrépide, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de son dessinateur, Léandre Thouin.
Comment êtes-vous devenu dessinateur ?
J'ai commencé mes premières bandes dessinées très jeune. Mes deux parents dessinaient beaucoup. J'avais toujours un carnet sur moi, je les imitais. J'ai dessiné pendant toute mon enfance. Le seul problème, c'est qu'ils sont respectivement paysagiste et architecte, donc je dessinais surtout des parcs et des façades de bâtiment. C'est difficile de faire une BD avec ça. Jusque très tard, c'était ma seule vraie influence en dessin. C'est seulement après, jeune adulte, que j'ai découvert des dessinateurs et dessinatrices qui m'ont inspiré, initié notamment par un très bon ami du lycée (Xavier Bouyssou) qui est excellent dessinateur/auteur, mais qui a aussi une très bonne connaissance de la BD. Après le bac, j'étais concentré sur mes études de musique classique, mais je continuais de dessiner. En 2018, j'ai décidé de reprendre un projet de bande dessinée qu'on avait avec mon frère. Quand 6 pieds sous terre a répondu à mon dossier, j'ai commencé à considérer le dessin comme mon activité principale. Mais ça ne fait que deux ans que j'en vis véritablement.
En 2023, vous réalisez votre première BD avec votre frère au scénario : L'Inconnu de la plage. Qu'est-ce qui vous a motivé à travailler ensemble ?
Mon frère est scénariste et réalisateur. Au début de sa carrière, il avait plusieurs idées de scénarios qu'il n'avait pas l'opportunité de réaliser. Moi, je terminais mes études de musique, mais j'étais pas convaincu, je cherchais à faire un projet d'illustration/bande dessinée depuis longtemps. On a alors essayé sur un scénario qu'il avait déjà fait, mais c'était une catastrophe. Puis on a eu l'idée de repartir d'un vieux dessin qu'il m'avait envoyé pendant qu'il faisait son mémoire et on a commencé à imaginer des petites scènes à partir du personnage de Kusturica et de cet étudiant un peu auto-centré qui était notre alter ego. Ça a tout de suite bien marché. Comme il ne dessine pas du tout, les rôles étaient très clairs dès le début, il n'y avait pas de risque que l'un empiète sur le travail de l'autre. Par ailleurs, j'ai toujours trouvé dur de travailler tout seul, il faut avoir beaucoup d'auto-discipline, ce que je n'ai pas du tout. J'ai besoin de sentir que je fais un livre avec des personnes qui sont impliquées aussi dans le projet, ça vaut aussi pour les éditeurs qui travaillent avec moi, ou comme la collaboration avec Madeleine, la coloriste sur ce projet. Tout seul, on peut se perdre facilement, remettre en cause des choix qu'on a faits plusieurs mois plus tôt. À deux, une fois qu'on a décidé, ça marque une étape dans le travail, on avance ! La dernière motivation, c'est que j'avais une appréhension par rapport aux éditeurs, j'avais peur que mon travail soit dénaturé, ou d'accepter des choix esthétiques que j'allais regretter dans le but d'être publié. Surtout sur des premiers projets. À deux, le rapport de force est un peu différent. Je pense que tout seul, j'aurais mis beaucoup plus de temps à assumer et à aller voir un éditeur.
Est-ce plus facile de travailler avec son frère au scénario qu'avec un scénariste n'étant pas de la famille ? Car la relation fraternelle peut simplifier, mais également compliquer, la relation professionnelle.
Tout à fait ! Haha. En l'occurrence, je ne sais pas ce que ça fait, puisque j'ai travaillé sur les deux bandes dessinées avec mon frère. Pour moi, c'est une situation très privilégiée. On se connait bien, nos références sont très proches et c'est une longue discussion qui commence au début du projet jusqu'à la toute fin. Nous connaissons bien le caractère de l'autre, ça permet de savoir jusqu'où on peut aller. Bérenger s'est beaucoup impliqué tout au long de la facture du livre : je lui envoyais les planches de storyboard au fur et à mesure, on en discutait, jusqu'aux dernières retouches. Il apporte son regard de lecteur avisé, indépendant de toute notion de temps ou de travail. Dans mon cas, ça n'a pas compliqué les choses, je l'ai toujours vécu comme un soutient positif et surtout un garde-fou dans un projet long où on peut se laisser submerger.
Comment avez-vous travaillé avec votre frère ? Avez-vous reçu un scénario strict ou laissant la place à l'improvisation, notamment au niveau de la mise en page ?
Comme je disais, Bérenger aime bien s'impliquer dans le livre. Il était hors de question qu'il rende le scénario abouti et qu'il se désengage par la suite. Il a d'abord imaginé le synopsis en quelques semaines. On s'appelait beaucoup pendant cette période pour discuter des idées qu'il avait, je lui faisais des retours, si je trouvais ça bien et si je voyais comment on pourrait dessiner telle ou telle scène. Le scénario s'est vraiment construit sur un dialogue entre nous deux. Ensuite, il a fait un premier scénario incomplet et j'ai commencé à dessiner, à encrer, même avant que la fin soit écrite. Je coupais dans le texte, des fois je rajoutais des cases sans texte et quelques fois des petites blagues. Il n'a jamais donné d'indications de mise en page. Par contre, dès que je faisais quelques planches de storyboard, je lui envoyais et il me faisait des retours. On a avancé comme ça pendant toute la fabrication de la bande dessinée.
Est-ce votre frère qui a choisi l'histoire et l'a scénarisée avant de vous la proposer ou est-ce une création à quatre mains depuis le départ ?
Je ne sais plus qui a eu l'idée, moi je pense que ça vient de moi, mais mon frère dit que c'est l'inverse, haha ! Je me souviens lui avoir dit que je voulais faire une bande dessinée d'époque, dans le style des BD d'aventure. Après mon précédent projet, j'en avais marre de dessiner des mecs en T-shirt qui discutent. On a pensé à ce personnage de Bernard Palissy – qu'on connaissait un peu, comme on vient d'Agen (sa ville natale), mais qui restait assez méconnu – pour pouvoir avoir une marge de manœuvre et ne pas tomber dans une biographie. Ce qui est sûr, c'est que ça a été une discussion dès le début. Bérenger écrivait au fur et à mesure et je donnais mon avis sur les scènes. Pour qu'une séquence reste, il fallait que les deux soient convaincus, au dessin comme au scénario. On n'a pas toujours été d'accord, mais on ne s'est jamais pris le chou encore, haha. C'est le plus têtu (le plus convainquant) qui gagne.
Comment avez-vous travaillé le dessin ?
Pour le dessin, j'ai longtemps hésité entre traditionnel et numérique. J'ai d'abord fait les premières planches à la plume. J'étais assez content du résultat, mais ça me prenait beaucoup de temps et demandait une application que je n'avais pas. (Je n'arrêtais pas de salir mes planches !) Ensuite, j'ai commencé à faire des tests sur Procreate. Au début, c'était assez décevant, je trouvais qu'on voyait énormément la pâte numérique, je n'arrivais pas à retrouver mon dessin, je me faisais avoir par l'outil. Puis j'ai commencé à obtenir des choses qui me plaisaient quand j'ai modifié et personnalisé mes brushs numériques. Je voulais un dessin proche d'un dessin à la plume, mais pas trop figé, que ça reste vivant. Je faisais donc le storyboard en traditionnel, puis le crayonné, je scannais et je décalquais sur Procreate. Mais ça a bougé. À la fin, je faisais tout sur l'iPad, sauf les dessins avec des poses compliquées ou pour des recherches graphiques.
Comment avez-vous rencontré Madeleine Pereira1, la coloriste, et comment travaillez-vous avec elle ?
J'ai rencontré Madeleine à Angoulême en 2023. On était tous les deux résidents à la Maison des auteurs. (Super résidence que je recommande au passage !) Je lui avais dit que je cherchais un coloriste pour ma bande dessinée, mais au début elle ne voulait pas du tout le faire ; elle a une réticence viscérale pour tout ce qui est numérique ! Elle n'avait aucune envie de passer l'été à l'ombre devant son ordinateur et sa tablette. J'ai demandé à plusieurs amies de faire des tests de couleurs, et Madeleine a finalement proposé quelques planches aussi en couleurs numériques (c'est celles où Blanche adolescente attrape un serpent dans les herbes hautes, que j'adore, p. 73-75 ). Unanimement avec Bérenger et Martin Zeller, notre éditeur, nous avons préféré ses planches. On (avec Bérenger) lui a donné que très peu d'indications. On voulait des aplats de couleurs, mais pas trop naturalistes, et éviter une palette trop large pour pas que ça fasse trop coloriage. Elle a très vite compris le langage de la BD, je pense, et elle s'est permis des propositions et des tonalités qui nous ont convaincus. On a travaillé par séquences. Au début, elle faisait des séquences d'une dizaine de pages et on lui faisait nos retours, puis, une fois que la palette et le langage chromatique étaient en place, elle a pu avancer un peu plus vite. Je suis super content des couleurs, c'est une vraie proposition esthétique qui s'intègre bien avec le dessin, je trouve.
Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?
C'est toujours difficile à dire. Il y a eu deux ans entre la signature et les fichiers finaux. Mais au tout début, j'avais encore un travail salarié à côté. Je m'y suis vraiment mis lors de ma résidence à Angoulême pendant l'été 2023. Je dirais que pour le dessin, ça m'a pris un peu plus d'un an.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Hum…Je n'ai rien qui me vient en tête ! Haha. J'espère que vous apprécierez la lecture de l'album ! Mangez des pruneaux !
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Pour les projets futurs, rien de précis. Je travaille actuellement sur la biographie fictive d'une musicienne contemporaine de Frédéric Chopin. Cela fait longtemps que je veux faire une bande dessinée autour de la musique, ayant moi-même étudié la musicologie pendant 5 ans.
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