La Mouette hurlante Le webzine spécialisé dans les interviews d'auteurs de BD et de romans graphiques

Interview de Lionel Froissart, à propos d'Ayrton Senna : Histoires d'un mythe

Couverture de la BD Ayrton Senna : Histoires d'un mythe

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Ayrton Senna : Histoires d'un mythe, parue aux éditions Glénat, en lisant l'interview de son scénariste, Lionel Froissart.

Vous êtes journaliste spécialisé dans l'automobile et avez consacré plusieurs ouvrages à Senna et à Prost. Comment êtes-vous passé de l'écriture du récit biographique à la bande dessinée ?

Justement, c’est ma proximité avec les acteurs de la F1 et donc d’Ayrton Senna et d'Alain Prost qui m’a valu d’être approché il y a quelques années par Philippe Graton qui était alors en charge des albums de Michel Vaillant qui m’a proposé de faire le scénario d’un dossier BD sur Senna, puis logiquement d’un suivant sur Prost (qui ont d’ailleurs été réunis dans un coffret collector). Plus récemment, j’ai également été sollicité pour écrire le scénario d’un dossier BD sur le circuit Paul Ricard. Entre-temps, les éditions Glénat pour lesquelles j’avais écrit une première biographie sur Ayrton Senna (Trajectoire d’un enfant gâté en 1990) m’ont proposé de collaborer avec les dessinateurs Christian Papazoglakis et Robert Paquet pour élaborer un album à nouveau consacré au champion brésilien. Ce que j’ai accepté avec plaisir.

Écrire sur Senna, du moins sur sa carrière, implique de parler de Prost. Quand on a écrit sur les deux pilotes, quel regard et quelle analyse porte-t-on sur leur rivalité ? Tout se résume-t-il à ce qui est dit dans la cartouche en haut de la page 32 ?

Bizarrement, j’ai toujours eu de très bons rapports avec Ayrton comme avec Alain. Je connais Prost depuis ses débuts en monoplace en 1976 et Ayrton depuis ses débuts en karting en Europe en 1978. Mais j’avais une plus grande proximité avec Ayrton dès ses débuts européens, alors que je me suis rapproché d’Alain à partir du moment où j’ai suivi assidûment la F1 en 1984 (qui était aussi la première saison d’Ayrton à ce niveau). Aujourd’hui, je suis toujours très proche d’Alain, je dirais des relations amicales et qui d’une certaine façon sont également un lien avec Ayrton, qui hélas n’est plus là. Non, la cartouche de la page est simplement un épisode de leur rivalité. L’un des plus connus, avant un autre clash plus spectaculaire encore en 1990, comme c’est expliqué quelques pages plus loin. Dans l’espace limité d’une BD, je me suis bien sûr concentré sur les événements les plus marquants. C’est aussi pour cela que j’ai complété ce que je voulais dire sur Ayrton dans des biographies et mon dernier roman L’icône Immolée paru aux éditions En Exergue à la fin du mois de mars.

Quel a été le point de départ d'Ayrton Senna, histoires d'un mythe ?

Justement parce qu’Ayrton l’est devenu. Un mythe, un super héros, un homme tout simplement mortel aussi. Un personnage dont l’aura a largement dépassé son sport. C’est d’ailleurs pour cela – même si c’est assez incroyable – que trente ans après sa disparition, il est toujours terriblement présent. Il reste un exemple et un repère pour de nombreux jeunes pilotes qui n’étaient même pas nés lorsqu’il est mort.

Comment avez-vous travaillé le scénario ?

C’est évidemment un exercice très différent de celui qui consiste à écrire un article, un reportage ou une enquête. La priorité reste quand même aux dessins et les « bulles » et petits encadrés viennent en appui pour souligner le propos ou poser le décor. Pour cet album, plutôt que de faire un récit chronologique qui serait parti de l’enfance jusqu’à ce maudit 1er mai 1994, j’ai préféré extraire des thèmes qui me semblaient, ou fondateurs ou révélateurs de la personnalité d’Ayrton ou susceptibles d’expliquer pourquoi il excellait dans tel ou tel domaine.

Christian Papazoglakis que nous avons interviewé plusieurs fois 1 et Robert Paquet signent le dessin de cet album. Comment avez-vous travaillé avec eux, et y a-t-il eu une répartition par chapitre ou l'un s'est occupé des personnages et l'autre des véhicules et des décors, comme on peut le voir sur la série Michel Vaillant ?

Lorsque vous écrivez un article pour un journal ou un magazine, vous êtes en quelque sorte le seul maitre à bord. Un rédacteur en chef ou un éditeur peuvent apporter une ou deux modifications, mais ça reste à la marge. Là, il ne faut pas trop se montrer ego-centré et penser un peu aux dessinateurs et aux difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés pour retranscrire un propos, un moment, une histoire, etc. Et puis, il faut être en mesure de retrouver des photos ou des éléments qui peuvent les guider au moment de se mettre sur la planche à dessins. Mais surtout, Christian et Robert sont des supers-connaisseurs de la course automobile, donc ça ne sert à rien de leur expliquer pendant des heures pourquoi une voiture doit être dans cette position ou un pilote représenté en dehors de son cockpit doit avoir telle ou telle attitude ou gestuelle. C’est très confortable.

Vous parlez évidemment de la mort d'Ayrton Senna, mais vous ne mentionnez pas un fait important par rapport à ce grand-prix, c'est la mort, la veille, de Roland Ratzenberger. Un décès qui avait plongé le grand-prix dans une ambiance très particulière. Senna a dit : « Trouve-moi un drapeau autrichien, je veux gagner cette course et rendre hommage à Roland Ratzenberger. » Pourquoi avoir fait le choix de ne pas parler de cet accident, pourtant décisif ?

Comme je l’ai dit plus haut, une BD impose des limites de place, parfois assez contraignantes. Avec Glénat, nous partions sur un album consacré à Ayrton Senna. Il était difficile de faire un long dégagement sur le pauvre Roland. Je trouvais qu’évoquer la présence de ce drapeau dans la poche d’Ayrton était finalement quelque chose d’assez fort pour lui rendre hommage. Et tout le mérite en revient à Ayrton qui a eu cette émouvante idée le samedi soir, quelques heures après la mort de Roland Ratzenberger.

Une enquête a prouvé que la FIA avait abusivement fait passer la mort de Roland Ratzenberger pour un arrêt cardiaque à l'hôpital, alors que le pilote autrichien est mort sur le coup. En agissant ainsi, la FIA empêchait la suspension du Grand Prix. Dans les paddocks, tout le monde était-il dupe ? 

À Imola, le paddock était déjà sous le choc de l’accident de Roland le samedi. En effet, la loi italienne aurait imposé d’ouvrir une enquête et ainsi de mettre sous séquestre le circuit d’Imola, si la mort de Roland (tué sur le coup) avait été déclarée tout de suite après l’accident. Mais pour être honnête, qui pouvait imaginer que l’horreur ne faisait que commencer ce samedi-là ? Que le dimanche serait la suite de l’escalade avec plusieurs accidents, dont celui, mortel, d’Ayrton ?

Combien de temps vous a demandé l'écriture du scénario et combien de temps a demandé l'album au total ?

Je ne m’en souviens pas, mais vous connaissez la mauvaise habitude des journalistes de repousser toujours le début de l’écriture d’un texte. Mais là, les dessinateurs piaillaient en attendant d’être nourris. Il leur fallait un maximum d’informations, d’illustrations, de textes divers et aussi, les textes plus précis et quasi définitifs pour les dialogues et les bulles et encadrés. Donc, une fois lancé, je crois me souvenir que je n’ai pas trainé.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Ce n’est pas vraiment une anecdote, mais plutôt un constat. Même sur un sujet que l’on connait par cœur ou que l’on pense connaître par cœur, c’est toujours un plaisir de se replonger dans de la documentation pour évoquer un fait, un événement. Car, par expérience, je sais qu’il ne faut pas trop se fier à sa mémoire, mais toujours vérifier une date, un propos. Je dis ça, mais il m’arrive toujours de me faire piéger. Donc, avec le temps, j’ai tendance à vérifier une info plutôt deux fois qu’une.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Justement, je me replonge dans mon enfance et mon premier contact avec la course automobile, lorsque mon grand-père a accepté de m’emmener voir le Grand Prix de France à Rouen les Essarts en juillet 1968. Où j’ai assisté à un accident mortel devant moi (celui de Jo Schlesser) et je veux raconter cette époque un peu folle où un pilote perdait la vie pratiquement chaque mois. À mes yeux, ils sont devenus des héros, des chevaliers, des princes de la vitesse. Ce sera un livre, mais peut-être qu’il pourra devenir une BD.

1 Interviews de Christian Papazoglakis, à propos de 24 Heures du Mans : 100 ans d'innovations et de 24 Heures du Mans : Anthologie Sixties

Le 18 juin 2024