Interview de Pierre Alary, à propos de Gone in the Wind 2

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Gone in the Wind 2, parue aux éditions Rue de Sèvres, en lisant l'interview de son auteur, Pierre Alary.
Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?
Cela me semblait inévitable. J’ai toujours dessiné et aimé raconter des histoires par ce biais. À l’école, j’étais, comme souvent j’ai l’impression chez nous autres dessinateurs et dessinatrices de BD, au fond de la classe, et je dessinais sur des cahiers, et très souvent, sur la table, que je noircissais d’un bout à l’autre, sans trop penser aux conséquences… Souvent, je me dis que, d’échec en échec, je suis devenu dessinateur de bandes dessinées…ha ha ha.
Nous parlions dans l'interview parue à l'occasion du tome 1 de Gone in the Wind1 de la différence de couverture pour différencier les deux tomes. Finalement il conviendra de se reporter au seul numéro sur la tranche pour faire la différence ou à la logique du dessin. En effet vous signez un vrai dyptique graphique au niveau de la couverture. Chacun aura son interprétation de ce s deux dessins, mais pouvez-vous nous donner votre intention. Pourquoi Rhett au premier plan et Scarlett en arrière plan, pourquoi les tombes et cette herbe couleur feu ?
De fait , je suis finalement revenu à mon idée première. Je voulais faire un grand dessin, puis ai renoncé un moment, pensant que cela faisait trop « effet » mais n’avais pas vraiment de sens. Je n’avais pas encore la compo globale en tête. Puis, mon découpage de l’histoire prenant bien le sens que je voulais lui donner. À savoir celui d’une boucle. Une boucle sans fin. La vie.J’ai eu l’idée de la compo pour cette couverture du tome deux. À savoir, non seulement placer l’autre personnage principal du récit, mais , surtout, fermer la boucle, là aussi. Ainsi , Rhett « bouche » littéralement l’image. Il clos l’histoire. La boucle est bouclée.
Comment le premier tome a-t-il été accueilli par le public et quels retours avez-vous eu du public lors des séances de dédicaces ?
Les retours critiques des lecteurs et de la presse ont été très positifs. Pour ce qui est commercial, c’est toujours plus compliqué. Si le succès d’un livre pouvait être relatif aux critiques, ce serait plutôt intéressant. Malheureusement, le titre en version originale n’a pas aidé. Mais là, je n’avais pas le choix… Mais j’espère que le tome 2, finissant ce récit, relancera l’intérêt des gens pour cette histoire qui, finalement, à ce que j’entends beaucoup autour de moi, « est beaucoup plus riche qu’on ne le pensait ».
Le tome 2 est plus dense que le tome 1 et comporte une quinzaine de planches de plus. Vous a-t-il demandé plus de concision scénaristique que pour le tome 1 ?
Non, c’était prévu (espéré ,surtout :) ). Il fallait, c’était l’intérêt, que sur un récit aussi long et, finalement, assez théâtral dans sa mise en scène (unité de lieu, de personnages, couloirs de dialogues), toute l’intensité et la dramaturgie se situent dans le fond plus que dans la forme. Tout ce qui est dit est donc beaucoup plus « global » dans ce second tome. On sort de « monsieur, madame » pour amener un fond qui englobe vraiment la grande histoire. Toujours en veillant à ce que ces pistes et « sous-couches » ne prennent pas le dessus sur le parcours des protagonistes, on continue de bien installer le théâtre des opérations : la société, la politique, les conditions de chacun, tout doit être bien en place et clair pour le lecteur, pour qu’arrive le drame ultime et qu’éclate ce couple comme a éclaté le monde autour d'eux.
Dans ce tome 2, le décor est planté, et les personnages deviennent plus complexes. Est-ce quelque chose qui est aussi présent dans le roman Margaret Mitchell, dans la seconde moitié du récit, ou est-ce votre souhait ?
C’est surement dans le roman. De manière plus éclatée, donc peut-être moins évidente. Car le roman se « répand » plus, que ce soit dans ses mises en place, dans l’aménagement des séquences. Il y a ce côté grand roman dramatique d’époque qui se traîne un peu par moments. J’ai essayé de profiter du médium bandes dessinées pour « resserrer » cette impression de passage à vide.
Le face-à-face Rhett/Scarlett permet découvrir une Scarlett que l'on méprise, que l'on admire. Il y a un jeu de « je t'aime moi non plus » extraordinaire dans cette histoire, qui finalement est vue essentiellement par le prisme de Rhett Butler, qui est un révélateur. Est-ce un choix de votre part ou est-ce ainsi dans le récit originel ?
Il semble vu par Rhett, parce que, finalement, le seul adulte, c’est Rhett. Il ne faut pas oublier que Scarlett, sur la durée du roman, traverse juste son adolescence. Elle a 16 ans au début de l’histoire et 25 sur la dernière page. Elle est donc souvent, malgré sa force, sujette à des petites « crises » d’adolescence. C’est, ici encore, ce qui la rend si touchante. Elle peut s’employer à se marier pour récupérer l’entreprise de son mari et, en même temps, s’énerver parce qu’on ne lui porte pas attention ou qu’on lui refuse un baiser. De fait, le regard que Rhett a sur tout ceci est posé et « définitif » , en ce sens qu’il a une opinion forgée et qu’il n’est plus sur une corde raide, à se chercher.
Selznick avait refusé le parti-pris politique lié au Ku Klux Klan, vous n'avez pas suivi son chemin, mais avez respecté cette facette du récit originel. Vous écrivez et dessinez cette partie en suggestion, quasiment sans images ou propos directs. Comment avez-vous abordez cette partie qui pouvait être périlleuse à une époque manichéenne où le wokisme cotoie le purisme ?
Le fait est, et là encore c’est l’un des points qui m’intéressait à la lecture du roman, le KKK est là, MAIS ce n’est pas le sujet. Comme les esclaves afro-américains sont présents, mais là encore ce n’est pas le sujet. Donc, on met tout ça en place, comme la guerre, comme la politique, pour que le cadre soit clair pour tout le monde, mais je n’y vais pas parce que ce n’est pas le sujet. Alors, évidemment, c’est le mal, mais je ne vais pas commencer à aller sur tous ces chemins, ou alors je fais autre chose qu’Autant en emporte le vent. Là, on fait la mire sur une famille en particulier , un tout petit groupe de gens qui vont survivre, ou non, au changement d’une époque. Au sein de ce petit groupe , il y a des employés (je dis « employés » pour faire une différence avec des « esclaves » maltraités et battus) afro-américains. Ils ne sont en aucun cas une représentation de ce qu’était l’esclavagisme à cette époque, évidemment ! Comment peut-on penser cela ? Ici, ce sont des « employés », pas plus maltraités que ne l’était un butler dans l’Angleterre de cette époque, parce qu’ils font partie de ce cercle, de cette famille qui, elle non plus, ne semble pas représentative de ce que devait être la plupart des grandes familles de propriétaires blancs de l’époque. Si j’avais voulu m’attaquer à ce sujet , il aurait fallu que j’aille voir du côté de Twelve Years a Slave de Solomon Northup ou Mandingo de Kyle Onstott, là, j’aurais pris de vrais risques et aurais pu me défouler sur cette engeance de l’humanité qu’étaient (et que sont encore dans beaucoup trop d'endroits) ces êtres dégénérés qui soumettent d’autres humains.
Vous disiez lors de la sortie du premier tome : « Je m'étais donné deux ans par album, car on a un budget. Pour le premier tome, j'ai même mis un peu moins. Ça sera plus compliqué pour le second qui sera plus dense et comportera plus de pages. » Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?
Comme quoi , avec les années vient une forme d’organisation. J’arrive à anticiper la fabrication d’un album sans trop de marge d’erreur. Au total, j’aurais passé quasiment deux ans par album. J’ai quand même terminé le second en avance, ce dont je ne suis pas peu fier (toujours par rapport à ce sujet d’organisation).
Dernière case, « Demain est un autre jour »… Comment se termine le roman ? Avez-vous arrêté la BD au même endroit ? Dans votre idée, Scarlett réussira-t-elle à aimer Rhett et à le faire revenir ?
Avec une punchline finale comme ça, connue de tellement de gens, et, surement pour beaucoup, sans savoir d’où ça vient, je ne peux pas terminer autrement. On fait presque l’adaptation de ce livre pour arriver à ce final. Les deux premiers « plans » de mise en scène que j’ai eus pour cette adaptation ont tout de suite été la première et la dernière page , avec ce « mouvement de caméra » inversé. Pour, comme je le disais plus haut, fermer la boucle, clore l’histoire. Je suis content qu’avec tout ce que j’ai mis dans les 298 pages « du milieu » , je retombe sur mes pieds pour ce final. Cela me semblait tellement évident.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Je ne vais pas rentrer encore dans les détails, mais ce sera dans la forme, en tout cas, plus léger. Mais je vais pénétrer de plein pied dans un milieu qui m’interroge et m’excite (comme énormément de gens, je crois).
Interview de Pierre Alary, à propos de Gone in the Wind 1
Le 22 janvier 2025