Interview de Thierry Martin, à propos du Balayeur des Lilas

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Balayeur des Lilas, parue aux éditions Oxymore, en lisant l'interview de son auteur, Thierry Martin.
Dans les remerciements, vous écrivez : « Je remercie […] mon éditrice, Clotilde Vu, qui m'a soutenu tout au long de la longue gestation de ce projet qui n'a pas été sans peine pour moi. » Pouvez-vous revenir sur cette gestation et la genèse du Balayeur des Lilas ?
L'histoire commence en 2012/2013 environ, Clotilde Vu lance une collection de livres objets, qu'elle nomme Ying/Yang, le leporello, le livre accordéon, un livre qui se déplie, sauf que c'est aussi un livre qui peut se lire avec sa face A et sa face B, de droite à gauche ou de bas en haut. À l'auteur de s'approprier l'objet. C'est Pascal Rabaté qui ouvre le bal, puis il y a eu de mémoire Frédéric Bézian, Nicolas De Crecy et elle me propose donc d'y participer. C'est un oui de principe, j'aime bien les défis. Les premières questions se posent. Est-ce que je peux en faire un concept ? Est-ce que ce concept peut coller avec l'histoire que je trouverai et que je devrais raconter ? Enfin bref, on verra bien si une idée arrive. Il faut savoir que j'aime regarder les gens dans la rue. Cela me vient sans doute des films de Tati et des bandes dessinées de Will Eisner. Et puis un jour, au détour d'une rue, je croise un vieux monsieur qui était en train de la balayer. Ce n'est pas un agent municipal et il semblait être à la retraite. Quelques jours plus tard, je le recroise plus haut dans la même rue et là ça m'interroge vraiment, qui est-il ? Pourquoi il fait ça. Je me dis qu'il peut être le personnage de mon histoire pour le leporello, le fil conducteur de plusieurs scènes de vie. Je trouve le début de l'histoire puis la fin, et là j'ai enfin mon concept, la journée d'un balayeur que l'on va suivre dans son quotidien. On commence la journée avec lui, on tourne le livre, on le suit dans l'après-midi, on arrive à la fin de sa journée, puis on retourne de nouveau le livre et ça recommence. Le livre sera une boucle, la journée type d'un homme qui est dans sa routine va croiser plusieurs vies. À partir de là, il a fallu observer les gens dans la rue, les dessiner, observer des attidudes, des saynètes, remplir des carnets à chaque fois que j'étais en déplacement pour ensuite les mettre en page et faire un tout cohérent. C'est sur toute cette étape de travail que Clotilde m'a soutenu, m'a encouragé sans pour autant me diriger.
Vous dédiez Le Balayeur des Lilas à tous les « invisibles », que vous qualifiez de « gardien invisible de nos anecdotes urbaines », « présent […] dans toutes les cultures ». Pourquoi avez-vous eu envie de mettre en avant ces personnes ?
Ça me semble juste normal, je me suis jamais posé la question.
Le Balayeur des Lilas est un livre silencieux. La thématique couplée à ce choix et à une mise en scène particulière n'est pas sans rappeler un certain Jean-Jacques Sempé et l'univers du Petit Nicolas. Était-ce une volonté consciente ou inconsciente de rendre hommage à Sempé ?
Comme je l'ai dit plus haut, c'est d'abord une volonté consciente de rendre hommage à Jacques Tati et Will Eisner. Sempé arrive de fait parce qu'il a été et il est encore très présent dans notre culture visuelle poétique de la rue. Je ne pouvais pas y échapper, j'en avais bien conscience et c'était très bien !
Avez-vous respecté les étapes traditionnelles de la réalisation d'une BD ?
Non, les saynètes sont arrivées en fonction de ce que j'observais, j'en finalisais certaines et d'autres sont restées à l'étape de croquis.
Comment avez-vous travaillé le scénario ?
Comme j'avais le début et la fin, il ne me restait plus qu'à combler le milieu, sauf que ça n'a pas été aussi simple. J'ai longtemps tourné autour du pot, sachant qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, je n'arrivais pas à le nommer. Si le balayeur était le fil conducteur du livre, des fois acteur, d'autres fois spectateur ou des fois invisible, je sentais qu'il me manquait un truc, et un soir ça m'a sauté aux yeux. C'était d'une telle évidence. Revenir au concept du livre. Ce livre, c’est un théâtre, le théâtre de la vie, et donc les personnages que le balayeur va croiser dans sa journée sont aussi les personnages de ce livre, et de ce fait, ils ont eux aussi droit à leurs petits quarts d’heure de célébrité. Ils vont se croiser, s'entrecroiser et revenir de temps en temps le long du livre. Ce qui m'a obligé de revenir sur certaines pages pour faire en sorte que cela soit un tout cohérent à mes yeux.
Comment avez-vous travaillé le dessin ?
Crayon 2B mine 0,5, plume shiro 700 et encre de Chine sur papier Ingres 80g ou Bristol 120g.
Comment avez-vous travaillé la couleur ?
À l'aquarelle et assis ;)
Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?
Trop longtemps, parce qu'il m'a fallu murir le projet, prendre le temps d'observer la rue et aussi parce que je travaille souvent sur plusieurs projets en même temps. À creuser plusieurs sillons en même temps, on avance moins vite ;)
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Pas spécialement, je me dis juste qu'il faudrait que je passe plus de temps à observer la vie autour de moi pour mieux la dessiner que de rester tout le temps enfermé dans mon bureau avachi sur ma table à dessin.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Deux westerns, un chez Aire Libre avec Nicolas Pothier au scénario et un autre tout seul chez Oxymore dans la même veine que mon précédent Dernier Souffle.
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