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Interview de Vincent Brugeas, à propos de Tête de Chien

Couverture de la BD Tête de Chien, livre 3

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Tête de Chien, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de son scénariste, Vincent Brugeas.

Comment êtes-vous devenu scénariste ?

Quand j'étais lycéen, j'avais énormément d'idées de récit, d'univers. J'écrivais des bouts de romans – des bouts, parce que j'arrivais rarement au bout, justement ! – des nouvelles. Cependant, en terminale, ma rencontre avec Ronan a été cruciale pour m'amener à la BD. Lecteur de Blueberry, Thorgal, Alix quand j'étais plus jeune, je n'avais jamais envisagé la BD pour coucher mes histoires. En effet, totalement dénué de la moindre capaité en illustrations, la littérature me semblait un chemin plus logique. Ma rencontre avec Ronan a changé cela. Cette quête personnelle est devenue celle d'un duo. Une histoire qui dure depuis plus de 20 ans. Sinon, j'ai appris mon métier en autodidacte, critiques après critiques, compliments après compliments. Mes études d'histoire m'ont donné le goût des récits historiques, qui constituent une immense majorité de ma production, mais rien de plus.

Quel a été le point de départ de Tête de Chien ?

Tête de Chien est venue en deux temps. Dans le premier temps, il s'agissait de proposer le cadre pour un Webtoon. Faire une sorte de « shonen sportif » au Moyen-âge. Et dans le même temps, de remettre les pendules à l'heure sur la notion de chevalier, sur laquelle les lecteurs d'aujourd'hui ont souvent beaucoup d'apriori ou d'idées reçues. Très vite, quand j'en ai parlé à Ronan – qui n'était pas concerné par le projet, mais à qui je parle de tout – j'ai senti qu'il avait bien envie d'y participer. Nous avons donc décidé d'en faire un projet à part entière. C'est à ce moment que Tête de Chien est devenu une femme. L'idée était de rajouter un élément dramatique qui pouvait amener beaucoup de dynamisme au récit. Tête de Chien était aussi, pour nous, l'occasion de revenir à un format qui nous plaisait énormément et que nous avions déjà expérimenté avec Le Roy des Ribauds. Après le succès de La République du Crâne, Dargaud était prêt à nous suivre sur ce format plus petit, mais de 120 pages, avec des chapitres/­épisodes de 20 pages à la manière des comics.

Comment avez-vous travaillé le scénario ? Faites-vous un synopsis, puis un plan, etc. ?

Ce sont les étapes habituelles, oui. Cependant, sur Tête de Chien, je me suis laissé plus de libertés et notamment grâce à la présence des chapitres fixes. De même, je travaille depuis très longtemps avec Ronan, ainsi nous nous connaissons très bien. Ainsi, je peux me permettre de faire un « découpage » bien plus lâche. Je lui raconte ce qui se passe dans une double-page, un peu à la manière d'une nouvelle, avec plein de détails, le « jeu d'acteur » des personnages, et Ronan picore à sa manière en faisant le story que nous validons ensemble. Cependant, c'est une méthode qui est possible surtout après 20 ans de travail commun.

Combien de volumes avez-vous prévu ?

Trois tomes ont été signés. Trois tomes sont désormais en librairies. Les ventes sont là, le public aussi. Le reste dépend de Dargaud et de l'énergie qu'il compte mettre dans la série. S'arrêter là serait un crève-cœur, mais un éditeur doit savoir accompagner une série avec un investissement à la hauteur de celui des auteurs. Nous verrons bien ce qui en découlera dans les mois à venir.

Écrivez-vous le scénario tome par tome, en tenant compte des tomes passés, mais en laissant une certaine errance scénaristique pour les albums futurs, ou avez-vous déjà calé les synopsis de chacun des albums à venir ?

Je prends souvent la métaphore de la randonnée pour expliquer ma manière de faire. Je connais mon point de départ et mon point d'arrivée. Ensuite, je ne m'interdis pas de faire un pique-nique dans un coin sympathique, au bord d'une rivière, de faire un détour pour admirer un point de vue ou, au contraire, de prendre un raccourci si l'orage gronde. Je sais comment les personnages doivent évoluer et par quelles péripéties, mais c'est important de se laisser assez de place pour évoluer, changer des éléments, réagir avec les réactions du public (avec parcimonie cependant). Sinon, on s'enferme très vite, on s'ennuie et, à la lecture, ça se ressent.

Comme le disait Ronan Toulhoat en mai 2023 1, la série se réalise au rythme d'un volume par an. Comment se déroule, depuis le tome 1, une année type au niveau de la répartition des rôles dans la réalisation des albums ? Gardez-vous une mécanique immuable ?

Non. Je suis incapable d'une discipline stricte. Je n'ai donc pas d'année type, ou même de semestre ou de trimestre. J'écris quand ça vient ou quand Ronan me demande de la matière. La structure en chapitres est très pratique pour cela. Il m'arrive d'écrire un chapitre puis de laisser du temps avant d'écrire le suivant. Une seule règle : une fois écrit (et validé et corrigé), je ne reviens pas sur un chapitre, il est désormais immuable. Les changements, l'évolution de l'histoire apparaîtront dans les suivants. Cela me permet de renouer avec une certaine périodicité du récit, comme avant dans les journaux tels que Pilote ou Spirou, ou ce qui se fait encore au Japon.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

J'ai reçu mes albums auteurs il y a peu, à la maison. Et c'est la première fois que ma fille – 14 ans, grande lectrice de manga – se jetait littéralement sur l'une de mes séries. C'est une vraie victoire pour moi.

Quel est votre ressenti sur cet album maintenant qu'il est terminé ?

J'en suis très fier.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Sur le second cycle de BOMB-X, qui va être considérablement remanié par Glénât – au lieu d'être abandonné, ce qui est un vrai soulagement -, le troisième tome de Daemon – très difficile, parce que j'avais écrit les tomes 1 et 2 entre 2018 et 2019, je dois donc faire un vrai effort pour me « reconnecter » - et deux séries western en cours, chez le Lombard et chez Dupuis. J'ai d'autres projets/­idées, mais il est encore bien trop tôt pour en parler. Ah, si, dès la rentrée, avec Ronan, nous allons lancer notre chaîne Twitch, afin d'inviter les lecteurs à nous suivre en direct lors de nos réalisations.

1 Interview de Ronan Toulhoat, à propos de Tête de Chien

Le 7 juin 2025