Interview de Pierre-Marie Terral, à propos de Larzac : Histoire d'une résistance paysanne

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Larzac : Histoire d'une résistance paysanne, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de son scénariste, Pierre-Marie Terral.
Vous avez écrit de nombreux ouvrages. Parmi eux, Le Larzac, de la résistance au symbole ; Le Larzac, de la lutte paysanne à l'altermondialisme : Entre histoire et mémoire (1971-2010) et Larzac, terre de lutte, une contestation devenue référence. Le Larzac a également été votre sujet de thèse de doctorat en histoire. Était-ce un sujet proposé ou était-ce un sujet personnel ? D'où vous vient cet intérêt pour ce causse et son histoire ?
Enfant du Sud-Aveyron, ce sujet m'a interpellé, car je comprenais qu'il s'était passé quelque chose qui n'avait pas existé dans d'autres campagnes du pays. Adolescent, alors que j'étais passionné par le mouvement non-violent afro-américain, ainsi que par la marche du sel de Gandhi, je méconnaissais ce qui s'était passé sur mon propre territoire, alors que cette lutte se réclamait de ces héritages. C'était pour moi une évidence que cette histoire, qui s'était déroulée une vingtaine d'années plus tôt et que je n'avais pas vécu, mériterait d'y consacrer des recherches. C'est ainsi que j'ai souhaité travailler sur ce sujet, le défricher à l'université, alors qu'il n'existait pas d'ouvrages historiques ou de travaux universitaires. Mais après des ouvrages sérieux, avec des notes de bas de page, mon goût pour la facétie ne pouvait être entièrement comblé…
Le sous-titre de l'album est Histoire d'une résistance paysanne. Vous vous intéressez en tant que chercheur à la désobéissance civile, si chère à Thoreau. Pensez-vous qu'une résistance, paysanne ou non, soit forcément ancrée dans une désobéissance civile ?
La désobéissance civile est l'une des spécificités du mouvement du Larzac, qui en 1972 fait le choix de la non-violence, à l'issue du jeûne du philosophe chrétien Lanza del Vasto. Des militants non-violents sont venus proposer l'arme de la désobéissance civile, qui s'est traduite de manière monumentale avec la bergerie de la Blaquière, un édifice destiné à verrouiller l'extension du camp militaire du Larzac en ce point, construite sans permis par des bénévoles. Et aujourd'hui encore, pour faire face à la « loi du bulldozer », celle du fait accompli qui fait que les travaux avancent, sans parfois que l'ensemble des recours aient été épuisés, des résistants construisent des cabanes ou montent aux arbres pour le bien commun…
Qu'en est-il aujourd'hui de cette désobéissance paysanne et de cette résistance ? L'Europe n'a-t-elle pas mis à terre tout ce qu'avaient fait les hommes et les femmes de cette époque ? Car avouons-le, quasiment personne ne connait ce pan de l'histoire de France.
Cette histoire, en partie oubliée, est universelle et intemporelle, celle de paysans et de leurs familles se battant pour la terre. À l'époque de cette lutte, des solidarités se sont créées en Europe, en Allemagne notamment, et aujourd’hui plus encore, on sait très bien que des questions aussi importantes que celle du réchauffement climatique ne pourront se régler à l'échelle nationale. Quant à l’Europe, José Bové, eurodéputé pendant dix ans, a continué à porter le combat citoyen dans l’hémicycle. Le film sur les écrans en ce moment, Une affaire de principe, avec Bouli Lanners, en est le témoignage…
L'histoire du Larzac est intimement liée à François Mitterrand, sur qui vous avez également écrit un livre. Peut-on dire que l'histoire du Larzac est une histoire humaine sur fond de politique ?
C'est tout sauf une histoire linéaire bordée de roses, et les militants ont connu des hauts et des bas, dix ans durant, croyant à plusieurs reprises que leur combat était perdu et que leurs fermes allaient être expropriées. Effectivement, pour effacer une décision politique, les paysans et militants du Larzac ont dû construire un mouvement assez fort pour peser sur le rapport de force et tenir dix ans, jusqu'à l'élection de François Mitterrand, annulant l'extension du camp par une décision symbolique, mais non dénuée d'arrière-pensées politiques. C'est grâce au Larzac que j'ai pu consacrer une biographie à François Mitterrand, à partir des lieux parcourus au gré de ses mille vies, un ouvrage préfacé par un autre président, François Hollande…
Larzac est votre première bande dessinée, comment avez-vous abordé le scénario ? Avez-vous fait un synopsis, puis un découpage scénaristique afin de tendre vers un storyboard avec le dessinateur ?
Avec l'aide et les encouragements de Sébastien, j'ai écrit un synopsis, en essayant de ciseler des dialogues pertinents et percutants ainsi que des situations, parfois cocasses, parfois avec une tension dramatique plus intense, sans jamais trahir la réalité de cette histoire, qui dépasse parfois la fiction : imagine-t-on des paysans partir de nuit de leur causse, traverser la France et faire paître leur brebis sous la tour Eiffel, au nez et à la barbe des policiers, en inventant une fausse publicité pour Roquefort ?
Vous connaissiez Sébastien Verdier, le dessinateur, avant de commencer cet album avec lui. Est-ce que cela vous a aidé dans la rédaction du scénario, qui reprend, en la synthétisant et la vulgarisant, une partie de votre thèse de doctorat ?
Sébastien Verdier, professionnel de la bande dessinée, m'a en effet guidé et invité à me faire confiance, me disant que je maîtrisais suffisamment le sujet pour pouvoir y insérer une dose de fiction narrative. Son aide pour me mettre le pied à l'étrier a été précieuse, et je suis désormais prêt à remonter à cheval avec lui !
Comment avez-vous rencontré Sébastien Verdier ?
Nous nous sommes rencontrés par les hasards de la vie et de la proximité géographique, habitant alors dans la même commune. Je connaissais le travail de Sébastien et j'étais très impressionné par son album Orwell pour Dargaud, en collaboration avec le grand maître Pierre Christin. Mais j'ai fini par oser lui proposer ce projet, qui l'a emballé, et j'ai découvert un artiste aussi humble que talentueux.
L'album est en noir et blanc, est-ce un choix de Sébastien Verdier, de Dargaud, ou de votre part ?
Ce choix du noir et blanc révélant toute la densité du dessin et l'intensité du mouvement était à la fois un choix de l'éditeur de Dargaud, François Le Bescond, et de Sébastien auquel j'ai pleinement souscrit. Et le résultat est magnifique, avec des habillages de l'album qui font entrer de plain-pied sur le causse du Larzac…
Combien de temps vous a demandé l'écriture du scénario et combien de temps a demandé l'album au total ?
Habitant non loin l'un de l'autre, nous avons travaillé avec des allers-retours constants, pour la documentation notamment. J'ai consacré vingt ans de recherche à cette histoire et six mois environ à l'écriture du scénario, dont les événements s'étaient déjà cristallisés dans mon esprit. Quant à Sébastien Verdier, trois années de dessin à temps plein ont été nécessaires pour dessiner cet album dont le nombre de planches est important.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Il est vrai que voir les anciens de ce mouvement s'amuser à se reconnaître une cinquantaine d'années plus tôt, lors des signatures et des rencontres amicales, est vraiment un plaisir. Et vu la qualité du trait de Sébastien, ils se reconnaissent sans peine ! Je crois même que certains personnages connus ont été cachés par le dessinateur dans certaines planches. Au lecteur de vérifier ! Ce sont ces femmes et ces hommes qui ont écrit l'histoire du Larzac, nous la mettons en mots et en images…
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Professeur d'histoire-géographie, j'ai découvert la littérature jeunesse récemment (L'Occitanie, toute une histoire !, éditions Privat), j'aimerais continuer à transmettre l'histoire aux plus jeunes, en passant par l'anecdote. Je prépare une publication à venir de portraits de personnalités publiques ayant connu des accidents de la vie (éditions du Dauphin). J'ai par ailleurs très envie de continuer à collaborer avec Sébastien Verdier dans la bande dessinée…
Le 26 mars 2024